Les violences policières sont-elles taboues ?

Magistrat et syndicaliste, Clément Schouler a été condamné pour diffamation envers la police, après avoir dénoncé les contrôles au faciès. Diverses études montrent pourtant que ces manquements sont une réalité.

Christine Tréguier  • 15 février 2007 abonné·es
Les violences policières sont-elles taboues ?

Clément Schouler, magistrat syndicaliste, a été condamné par la Cour d’appel de Paris à une amende de 800 euros pour avoir écrit : « Les contrôles d’identité au faciès, bien que prohibés par la loi, sont non seulement monnaie courante mais se multiplient. » Le fait est assez exceptionnel pour qu’on s’interroge sur le fond.

Cette phrase provient de l’opuscule Vos Papiers ! Que faire face à la police ? , publié fin 2001 à l’Esprit frappeur. Le contexte est celui de la « guerre contre le terrorisme », après les attentats du 11 Septembre : les lois sécuritaires se succèdent et les contrôles policiers se multiplient. Le Syndicat de la magistrature (SM) et son vice-président, Clément Schouler, jugent alors utile de rédiger ce petit vade-mecum des droits à l’usage des citoyens.

Quelques semaines plus tard, le SM, Clément Schouler, le graphiste Placid et l’éditeur Michel Sitbon sont mis en examen pour « diffamation publique envers la police nationale » . Les syndicats policiers, dont le Syndicat national des officiers de police (Snop), on en effet crié à l’outrage sous les fenêtres de la Chancellerie. Le ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant, les a entendus et a porté plainte.

Illustration - Les violences policières sont-elles taboues ?


Des policiers de la PAF (Police Aux Frontières) fouillent les bagages de voyageurs, le 12 septembre 2001 à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, dans le cadre de la mise en place du plan Vigipirate, après les attentats aux Etats-Unis. AFP/Thomas Coex

Quand il succède à Daniel Vaillant, Nicolas Sarkozy renchérit et se constitue partie civile. Il faut dire que le SM cloue systématiquement au pilori les projets de loi sécuritaires du ministre et l’accuse de porter atteinte à l’indépendance de la Justice. Le jugement est rendu le 9 mai 2006. Pour le tribunal correctionnel de Paris, « la multiplication des contrôles au faciès était régulièrement dénoncée » (la Ligue des droits de l’homme), le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales [CESDIP] et un syndicaliste policier en ont témoigné). Et Clément Schouler « pouvait s’exprimer librement, en usant de surcroît d´un ton modéré ». Relaxe pour tous.

Contre toute attente, le parquet fait appel. Pour le SM, il ne peut s’agir que d’une « volonté manifeste de harcèlement politique » . Ce n’est en effet pas la première fois que le syndicat est poursuivi par un ministre de l’Intérieur. En son temps, Charles Pasqua avait obtenu la condamnation de deux membres du syndicat, Alain Vogelweith et Béatrice Patrie [^2]

Le 18 décembre 2006, la cour d’appel, estimant que la réalité des pratiques discriminatoires policières est sujette à controverse, et qu’un magistrat est « réputé connaître la réalité des compétences de la police » , condamne Clément Schouler et ses « complices ». Depuis, Schouler s’est pourvu en cassation.

Diffamation ou dénonciation ? En 1992, le Comité européen de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), l’une des rares instances habilitées à opérer des visites surprises dans les postes de police, concluait à « un risque non négligeable d’être maltraité » . En 2004, dans une étude sur « la part des discriminations dans les manquements à la déontologie » , justifiée par « l’observation de situations et pratiques récurrentes mettant en scène les forces de l’ordre face à des « minorités dites visibles » » , la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) relevait leur augmentation : 78 manquements, dont 36 pour discrimination, sur 200 dossiers traités entre 2001 et 2004, et un « sentiment d’impunité » encourageant les agents. Dans son bilan 2006, l’autorité indépendante atteste d’une augmentation des « irrégularités » et d’une « utilisation abusive de la coercition ». Un policier, ex-membre du syndicat CGT-Police, témoin au procès de Schouler, va plus loin : « Ce sont des contrôles à l’apparence. Les policiers ne se conforment pas au code pénal ; ils procèdent à rebours et interpellent sans « raison valable de soupçonner », dans l’espoir de faire du chiffre sur des affaires faciles. »

La CNDS dénonce aussi « les propos virulents, parfois même outrageants » , tenus par certains syndicats de police lors des enquêtes contradictoires, assimilés à des « mesures d’intimidation » . La réalité des manquements paraît avérée. Pourquoi n’évoque-t-on alors que leur probabilité ? Des statistiques indépendantes, autres que celles de l’IGS (le ministère de la Justice n’en produit pas), seraient un bon moyen de quantifier les dérives.

[^2]: Dans leur livre la Mort hors la loi d’Érick Schmitt, sur l’affaire de la prise d’otages de la maternelle de Neuilly, les deux magistrats accusaient le ministre d’avoir «~ordonné l’exécution du preneur d’otages~».

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