En toute impunité

L’expansion des cultures de palmier à huile se fait sur le dos des populations locales. Les explications de la Commission Justice et Paix de Colombie.

Commission Justice et Paix, Colombie  • 31 mai 2007 abonné·es

En février 1997, l’armée colombienne réalise une vaste opération de déplacement de population dans les territoires de Salaquí y el Cacarica : près de 3 000 paysans de cette région du Bajo Atrato Chocoano se sont retrouvés à Panama, Cartagène, Medellin, etc. Certains se sont cachés dans la forêt, d’autres ont entamé une résistance pour exiger la protection et la garantie de leurs droits.

Depuis cette époque, et jusqu’en 2006, la Commission Justice et Paix a enregistré 106 assassinats et disparitions, 15 cas de torture, 17 détentions arbitraires, 19 saccages ou incendies de maisons, etc., commis dans la plus totale impunité et dans lesquels la responsabilité de l’État est engagée. Aujourd’hui, le but de ces exactions se précise~: dans le seul «~territoire collectif~» de Curvaradó sont cultivés 25 000 hectares de palme. Notamment à l’emplacement où vivaient 25 familles déplacées de force. À cette stratégie de la place nette s’ajoute une victimisation, les membres de la communauté spoliés étant opportunément accusés d’être des auxiliaires de la guérilla, comme nous l’avons constaté des dizaines de fois.

Les «~territoires collectifs~» afro-colombiens, peuplés en grande partie de descendants d’esclaves noirs et de paysans métis, sont situés dans une forêt primaire tropicale humide, recelant une très grande biodiversité à l’hectare. Selon l’Institut colombien de la réforme agraire (Incora), « cette région, incluse dans l’aire biogéographique du Choco, est considérée comme un système stratégique dans la politique environnementale, et doit être conservée afin que les précieuses ressources génétiques de cette zone constituent des biens publics vitaux pour l’amélioration de la qualité de vie des communautés locales, ainsi que pour le développement du pays et le futur de l’humanité » .

Par disposition légale, les terres de ces territoires protégés ne peuvent faire l’objet de transactions. Ce qui n’a pas empêché des notaires d’établir de tels actes au détriment d’habitants accompagnés, jusque dans les officines, par des paramilitaires chargés de maintenir la pression.

L’affaire Antonio Díaz Almario, habitant de la vallée du Curvaradó, est l’une des plus représentatives des manipulations qui ont eu lieu dans cette région. Cet homme, possédant 18 hectares attribués par l’Incora, est décédé en 1996. Ce qui ne l’a pas empêché de «~signer~», en 2000, une transaction par laquelle il vendait ce bien à une entreprise, qui l’a cédé quelques mois plus tard à la compagnie Urapalma. Cette dernière, cultivatrice de palme, affirme, sur la foi de documents officiels délivrés à Quibdo, que les terrains en question s’étendent sur… 9 000 hectares !

En s’appuyant toujours sur ces mêmes documents, Urapalma a déclenché une action contre un paysan pour «~occupation illégale~» d’une terre dont il était pourtant le légitime usufruitier… Un autre paysan, déplacé des 150 hectares de terre qu’il exploitait depuis plus de quarante ans, s’en est plus tard vu refuser l’accès par les miliaires et paramilitaires «~pour raisons de sécurité~». Explication~: 120 hectares avaient déjà été rasés et semés en palmiers !

L’invasion illégale du Curvaradó ainsi que la culture de la palme à grande échelle qui s’est ensuivie, par une dizaine d’entreprises, ont ainsi été pratiquées en tant que politique économique publique, appuyée par une stratégie militaire, et promue par le plus haut niveau de l’État. Le gouvernement a même nommé un entrepreneur, Juan B. Pérez, pour impulser explicitement la culture de la palme comme l’un des volets économiques du programme de démobilisation. Effet pervers, l’opération s’est convertie en un mécanisme de réconciliation forcée entre les forces criminelles paramilitaires démobilisées et leurs anciennes victimes ! Juan B. Pérez explique, dans la revue Semana (mars 2005) : « Nous travaillons sur un modèle d’entreprises associatives dont sont partie prenante des démobilisés, des déplacés et des paysans […] *. »*

Cette vaste entreprise s’est accompagnée de dommages écologiques considérables, qui ont bénéficié de l’aval d’organismes régionaux de protection de l’environnement comme Codechoco et Corpouraba. De nombreuses espèces végétales et animales sont en voie d’extinction, ou bien déjà éliminées. Au moins quatre rivières ont été canalisées pour assécher les terres de ces bassins. Le niveau de la rivière Curvaradó a baissé de 30 %, etc.

L’objectif de la Colombie, pour la prochaine décennie : étendre les cultures de palmier à huile sur 6 millions d’hectares. Une aubaine économique et une solution à la réintégration des paramilitaires dans la société, mais qui se fait sur le dos des populations locales. Pour les Afro-Colombiens et les paysans métis du Curvaradó, le palmier à huile est un arbre maudit, et le plan de l’État, un scénario de mort.

Écologie
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