La quête de l’eau

Permettre l’accès à l’énergie et à l’eau potable dans les villages isolés,
tel est le projet d’Électriciens sans frontières. Reportage à Sakalalina,
au centre de l’île de Madagascar, lors d’une mission en automne dernier.

Lucie Rabréaud  • 10 mai 2007 abonné·es
La quête de l’eau

La dernière fois qu’il a plu ? Janvier 2006. Nous sommes en octobre. La brousse étend ses couleurs safran entre les montagnes, noircie par des feux, pourtant interdits. Tout est sec. Les arbres sont racornis, la piste est poussiéreuse. Les rizières se craquellent, le prix du riz augmente. Sakalalina, village de 3 000 habitants, niché dans le bush épineux du centre de l’île de Madagascar, meurt de soif. Ici, pas d’eau courante, pas d’électricité, pas de téléphone, pas de Poste. Sakalalina est à l’écart de tout. Dans la chaleur, une équipe inspecte les bornes-fontaines du village, se concerte dans le bureau du maire, crapahute sur la montagne à la recherche d’une rivière. L’instigateur de cette équipe : Alain Marboeuf, électricien à la retraite. Il vient d’arriver à Sakalalina et va y rester quatre jours. Objectif : trouver un moyen de diriger l’eau de la montagne au village, et construire de nouvelles bornes-fontaines.

Illustration - La quête de l'eau


Sakalalina : six bornes-fontaines pour 3 000 habitants, qui réservent leur place, le matin, avec des seaux. Photo Lucie Rabréaud

Selon les dernières enquêtes conduites par l’Institut national de la statistique de Madagascar (Instat), sept personnes sur dix n’ont pas accès à l’eau potable sur la grande île. Au niveau mondial, l’ONG française Électriciens sans frontières (ESF) www.electriciens-sans-frontieres.com estime à deux milliards le nombre de personnes qui n’ont pas accès à l’électricité, et à un milliard celles qui ne disposent pas d’eau potable. Or, « l’accès à l’énergie et l’accès à l’eau sont des leviers du développement » , explique Hervé Gouyet, président d’ESF.

Créée en 1986 sous l’impulsion de salariés d’EDF voulant « mettre leurs compétences au service de projets de solidarité internationale » , l’association rassemble aujourd’hui 800 bénévoles qui mènent 180 projets dans 36 pays. Alain Marboeuf, vice-président de l’antenne nantaise de l’association, s’occupe de plusieurs projets à Madagascar. Il effectue sa deuxième visite à Sakalalina, où la situation empire. Les six bornes-fontaines, dispersées entre les maisons de pisé (une sorte de torchis), offrent de l’eau de 5 heures à 8 heures du matin. C’est insuffisant. Les habitants du village font d’incessants allers-retours à la rivière, qui commence à se dessécher. Neuf mois qu’il n’a pas plu…

Dans le bureau cossu de la mairie, l’électricien sans frontières propose des solutions. L’idée de faire de nouveaux captages d’eau dans la montagne est avancée. Pour faire venir l’électricité, les solutions sont plus difficiles. « Nous étions allés voir la rivière pour faire une microcentrale, à quatre ou cinq endroits. Mais le débit de l’eau est insuffisant. On pourrait alimenter dix maisons seulement » , résume Alain. « Et si on met un groupe électrogène ? » , intervient Josoa Randriamihajanoelina, un adjoint au maire. « Un groupe coûte cher. Il faut acheter le gasoil, l’entretenir sans arrêt, que les gens payent un abonnement. Un groupe se gère comme une petite entreprise, prévient l’électricien. Il faut avant tout faire une étude : déterminer qui en a besoin. » Une estimation a été faite, l’équipe municipale sort ses documents : 600 familles seraient prêtes à prendre l’électricité.

Perspicace, la responsable de la communauté religieuse du village met en avant le choix des soeurs de se servir de bougies plutôt que de leur petit groupe électrogène, par souci d’économie. Et, selon Alain, « les panneaux solaires ne peuvent pas alimenter un village ». Le débat reste en suspens. Pour Hervé Gouyet, « apporter l’énergie partout est possible, mais ça ne peut pas se faire du jour au lendemain » .

Deuxième jour de visite pour Alain Marboeuf. Accompagné de certains habitants du village, il veut vérifier les installations. Une fois dans la montagne, on soulève de grosses plaques de béton, découvrant de petites mares. Ces captages ne ramènent pas assez d’eau. Pourquoi ne pas faire un barrage, plus performant ? Après une heure de marche, une rivière. Ça clapote, ça gargouille, ça coule sans arrêt. Sourires. Le barrage sera là. L’eau sera ensuite acheminée vers les bornes-fontaines. Du béton, des tuyaux… ESF apporte une aide technique et des financements : « Ils ont plein d’idées mais pas le moindre sou. » Alain estime le coût du projet de Sakalalina à 150 000 euros. « 50 % de ce montant peut nous être attribué par ESF, et le reste, c’est à nous d’aller le chercher. » La direction d’EDF alloue un montant par an au fonctionnement de l’ONG, ce qui permet de financer presque la moitié de chaque mission. Ensuite, spectacles, ventes d’artisanat et dons compléteront le budget. Prudent, Alain n’a rien promis aux habitants de Sakalalina, mais il compte bien atteindre l’objectif fixé [^2]. Pour que l’eau coule en tournant un simple robinet.

ESF, 9, av. Percier, 75008 Paris, 01 40 42 82 64

electriciens-sans-frontieres@edf.fr

[^2]: Depuis ce reportage, les travaux ont commencé. L’eau devrait couler au village début juillet, et vingt nouvelles bornes-fontaines ont été installées.

Temps de lecture : 4 minutes