Les faussaires de l’information

Guillaume Weill-Raynal démonte les mécanismes d’une désinformation notamment chargée d’interdire tout débat sur les politiques américaines et israéliennes.

Denis Sieffert  • 3 mai 2007 abonné·es

Après Une haine imaginaire, contre-enquête sur le nouvel antisémitisme (Armand Colin, 2005) Guillaume Weill-Raynal poursuit sa traque des faussaires de l’information avec un nouvel ouvrage, comme le précédent, rigoureux et documenté. Il s’efforce cette fois de démonter les mécanismes de la désinformation traçant pour cela un parallèle édifiant entre les techniques en usage à l’époque de la guerre froide ­ il puise notamment dans l’oeuvre de Vladimir Volkoff ­ et celles dont usent aujourd’hui les propagandistes de l’ordre mondial selon Bush et Sharon. L’auteur ne dédaigne pas de faire un détour par l’Antiquité pour rappeler l’épisode du Cheval de Troie. On n’en retient généralement que la spectaculaire issue pour oublier le patient travail d’influence de ceux qui ont dû convaincre les Troyens d’abaisser les murailles de leur cité afin d’y faire rentrer le mortel trophée qui était supposé les faire aimer de la déesse Pallas-Athéna. Le récit permet de faire la distinction entre ce que les gens de l’art appellent les « agents d’influence » , conscients sinon rémunérés, et les « idiots utiles » propageant de bonne foi la désinformation.

Les deux « corporations » sont toujours à l’oeuvre aujourd’hui. On les distingue clairement dans les exemples de récente actualité exposés méticuleusement par Weill-Raynal. Celui-ci revient sur ce qu’on a fini par appeler l’affaire Enderlin, ce qui est déjà en soi le fruit de la manipulation tant il serait préférable d’accoler à cette affaire les noms de ceux qui l’ont montée de toutes pièces pour tenter de disqualifier l’irréprochable correspondant de France 2. On se souvient des faits. Un cameraman de France 2 filme dans les premiers jours de la deuxième Intifada, le 30 septembre 2000, la mort d’un gamin de 12 ans pris avec son père dans un échange de tirs entre combattants palestiniens et soldats israéliens. Malgré la prudence du commentaire d’Enderlin, qui ne prête aucune « intention » aux tireurs israéliens mais note que la balle mortelle est venue de leur position ­ ce qui sera dans un premier temps attesté par l’état-major israélien ­, une campagne se déchaîne contre ce qui devient bientôt l’image symbole de la répression israélienne. On ira jusqu’à affirmer que tout a été mis en scène et que l’enfant n’est pas réellement mort. À Paris, un ancien journaliste du Monde reconverti dans une sulfureuse officine franco-israélienne connue sous le nom de Metula News Agency s’activera pour mettre en doute la réalité des faits et, au mieux, suggérer que l’enfant aurait été tué par les Palestiniens. Il sera relayé à grande échelle par le journaliste-producteur d’Arte, Daniel Leconte, puis par le directeur de l’Express de l’époque, Denis Jeambar, qui fut probablement « l’idiot utile » de cette affaire.

Guillaume Weill-Raynal jette un éclairage neuf sur une autre opération de désinformation orchestrée, celle-ci, par Thierry Meyssan, auteur d’une étrange « enquête » qui concluait que le Pentagone n’aurait pas été la cible, le 11 septembre 2001, d’un avion civil détourné par Al-Qaida, mais d’un missile américain. Meyssan aurait puisé ses sources dans les nombreux sites américains qui se repaissent à tout propos de la thèse du complot. Mais ce n’est pas tant la grossière désinformation propagée par Meyssan qui intéresse Weill-Raynal que l’usage qui en est immédiatement fait pour produire un amalgame entre cette manipulation et toute critique rationnelle de la politique américaine. Où l’on retrouve aux premières loges le même Daniel Leconte, prompt à assimiler « antiaméricanisme » et « antisémitisme », à dénoncer chez ceux qui critiquent la politique israélienne une vision paranoïaque de l’histoire (le fameux complot). Mais n’est-ce pas précisément la thèse du complot que les mêmes avaient développée contre Charles Enderlin ? Avec beaucoup de précision et de clarté ­ malgré la complexité du sujet ­, Weill-Raynal démonte ces techniques de retournement qui consistent à brouiller les pistes en imputant aux autres les procédés que l’on utilise soi-même. Un livre indispensable pour tout lecteur de presse ou téléspectateur qui ne veut pas être transformé en « idiot utile ». Une invitation à se tenir en état d’éveil critique devant l’information.

Idées
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