Dresseurs de fantômes

Ève Bonfanti et Yves Hunstad décortiquent les ressorts de l’art dramatique avec humour et simplicité.

Gilles Costaz  • 20 septembre 2007 abonné·es

Le théâtre aime bien prendre le théâtre comme sujet de spectacles, dans un exercice de miroir qui peut être agaçant : les auteurs et les acteurs parlent d’eux-mêmes et s’admirent d’aller bien au-delà de l’introspection de l’humanité moyenne ! Ève Bonfanti et Yves Hunstad, artistes belges déambulant avec succès en France des Bouffes du Nord à Avignon, et arrivés ces jours-ci au Rond-Point, ne parlent que du théâtre, eux aussi, mais c’est avec simplicité qu’ils s’interrogent. Ils se moquent de certaines pratiques vaniteuses ou creuses (les lectures publiques, qui étaient le point de départ de leur précédente pièce, Au bord de l’eau ), et, pince-sans-rire, mettent les pieds dans des tapis qui les font tomber sur des questions graves. Comment le rapport entre les comédiens et le public s’établit-il ? Vient-on au théâtre pour y voir du connu ou de l’inconnu ? Le spectacle est-il chaque soir identique ou toujours modifié par des données nouvelles ?

Bien entendu, il y a eu Pirandello et pas mal d’autres pour affronter ces problèmes. Mais Bonfanti et Hunstad sont des bouffons, des amuseurs, des perturbateurs. Ils ne se prennent que partiellement au sérieux. Yves Hunstad, tout doux et d’un air angélique sous un casque de boucles blondes, lance comme malgré lui les questions qui fâchent. Ève Bonfanti, élégante brune perdue dans sa vie intérieure, joue celle qui sait et professe, en s’étonnant du décalage qui se développe entre ses idées et ce que le déroulement du spectacle lui apprend. Du vent… des fantômes, le nouvel opus du tandem, s’appuie d’abord sur le vide. Il n’a même pas lieu là où il est indiqué puisque les spectateurs trouvent porte close et doivent se réfugier dans ce qui est sans doute une autre salle !

Là, les deux meneurs de jeu, confrontés à des absents et à des fantômes, se rabattent sur le public. Ils n’ont que lui sous la main ! Ils s’interrogent avec lui en ce lieu incertain où l’on ne sait où sont la scène et la salle. Des partenaires apparaissent, qui se mêlent de la régie, règlent divers éléments et opacifient le mystère au lieu de l’éclairer. Est-ce du théâtre de texte ? Ou plutôt du théâtre d’improvisation ? C’est la fiction que Bonfanti et Hunstad transmettent, mais l’on voit bien que tout est précis et préparé, avec, seulement, ce sens de l’instant qu’ont tous les bons comédiens et qui leur permet de s’adapter aux circonstances.

En fait, leur spectacle est une expérience sans filet. De même que Flaubert voulait faire « un roman sur rien » , leur équipée cherche à faire du théâtre avec rien, avec les notions abstraites qui font le théâtre, sur une aire vide dont ils montrent la plénitude. Comme ils sont eux-mêmes concrets et chaleureux, ils trouvent le point d’harmonie où l’expérience intellectuelle devient populaire. Au lieu de rester théorique, le débat devient réel et comique. La quadrature du cercle est résolue !

Culture
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