La nostalgie, camarade…

Le 30 septembre, le Premier ministre vietnamien, Nguyên Tân Dung, entame une visite officielle en France. À cette occasion, le regard d’un journaliste français à Hanoï.

Jean Kouchner  • 27 septembre 2007 abonné·es

Des milliers de personnes se pressent autour du mausolée d’Ho Chi Minh. Mains jointes, barbiche fidèle à ses portraits, « l’Oncle Ho » semble sourire avec un peu d’ironie à cet embaumement qu’il n’avait pas voulu. Ce 2 septembre est jour de fête nationale, commémorant la révolution de 1945, la victoire de 1975 contre les Américains, et l’anniversaire de la mort du fondateur du Parti communiste indochinois.

Hanoï est couverte de drapeaux rouges arborant étoile ou faucille et marteau. Chaque fenêtre, chaque échoppe et jusqu’à bon nombre de vélos-taxis affirment ainsi leur attachement au régime socialiste. Partout, on voit des femmes arborant un chapeau pointu, des hommes abrités sous des casques verts de « bodoïs » , le nom affectueux donné aux soldats du Nord.

Plongée quarante ans en arrière, lorsque les mêmes épiaient les B52 au milieu des rizières ou parcouraient la piste Ho Chi Minh en poussant des vélos lourdement chargés. L’émotion accompagne l’ancien militant à chaque rencontre. Nous les arborions aussi, ces chapeaux vietnamiens achetés à la fête de l’Huma

Mais est-ce tout à fait le même peuple~? La guerre a anéanti une génération et la moitié de la population a moins de 30 ans. Pour ces jeunes, la guerre est une histoire ancienne. La question du jour est celle des quelques dongs à gagner pour faire bouillir la marmite, et les touristes, fussent-ils Américains, sont les bienvenus. Après les années noires et celles qui ont suivi, dans un pays exsangue, n’exportant que ses boat-people , le Vietnam d’aujourd’hui s’est lancé dans une course au développement. Le pays est une ruche, à l’image de ces motos, vélos et de plus en plus de voitures, qui s’entrecroisent et se frôlent, en dépit des feux rouges.

Là-bas, sur le fleuve Rouge, le fameux pont construit par Eiffel, bombardé le jour, inlassablement reconstruit la nuit, laisse passer motos et piétons. Il doit être réhabilité par les Français, qui doivent aussi investir dans le projet de métro. Mais la place de la France est aujourd’hui réduite (9e investisseur), et rares sont les jeunes qui parlent encore notre langue. Le grand paradoxe est là~: c’est l’«~impérialiste américain~», militairement battu, qui est en passe de triompher économiquement et culturellement. Il est le premier client du Vietnam. Pourtant, le Parti est toujours très présent. Tous les cadres ou presque en sont membres. L’État est sien. Rien n’est possible sans son accord. Quelques jeunes membres nous disent leur espoir d’une démocratie réellement socialiste avec un réalisme encourageant. Ils ont la conviction que leur génération va sortir le pays de la misère et que le socialisme va triompher. On voudrait les croire.

Des progrès sont notables. Ainsi, les Viêt Kiêu, ces exilés volontaires ayant fui le régime et la misère, sont-ils depuis peu autorisés à revenir, sans exigence de visa. Les médias manifestent de plus en plus un souci d’ouverture, bien que peu osent franchir les limites imposées. La corruption, très présente à tous les niveaux du Parti et de l’État, est dénoncée plus souvent, parfois punie.

Hanoï a besoin d’investissements étrangers et offre une main-d’oeuvre à bon marché. Les immeubles poussent en même temps que les villas de luxe à la périphérie, construites sur des terrains d’où ont été chassés les paysans. Ici, fleurissaient les pêchers dont les branches étaient utilisées lors de la fête du Têt. À la place, prolifèrent des colonnes prétentieuses encadrant des perrons hollywoodiens. Depuis, les paysans manifestent régulièrement au centre-ville. Drapeaux rouges et portraits d’Ho Chi Minh à la main, ils réclament justice.

Dans les nombreuses boutiques du centre, les grandes marques de vêtements, de chaussures, d’articles de luxe sont proposées à des prix défiant toute concurrence. Le Vietnam en fabrique certes officiellement quelques-uns, mais beaucoup sont des imitations. Au milieu des étalages, une jeune femme propose à la foule quelques bananes tirées de paniers de riz suspendus à un balancier en bambou. Elle était déjà là hier et avant-hier. Elle semble malade, fatiguée… Un peu plus loin, devant le théâtre des marionnettes sur l’eau, un vieil homme décharné tend sa sébile aux touristes.

Là-bas, près du Mausolée, le général Vo Nguyên Giap reçoit Raymond Aubrac, dont la fille est la filleule d’Ho Chi Minh. Le vieux militant communiste est en visite pour la fête nationale. Compagnons de soixante ans de combats, Giap et lui ont gardé une solide amitié. Derniers combattants pour des idéaux dont on se prend encore à rêver de la grandeur.

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