Courrier des lecteurs Politis 971

Politis  • 11 octobre 2007 abonné·es

Lettre ouverte au Président

Nous avons écouté votre discours aux pompiers dans lequel, une nouvelle fois, les médecins généralistes sont montrés du doigt parce qu’ils ne voudraient plus travailler la nuit et les week-ends, ni aller s’installer dans de petites communes rurales.

Monsieur le Président, un médecin généraliste travaille en moyenne 57 heures par semaine. En zone rurale, où j’exerce, ce chiffre avoisine les 70
heures. Sans être paresseuse, je ne peux plus me relever la nuit pour courir au chevet de mes patients. Je l’ai fait pendant vingt ans, pendant mes grossesses, puis en essayant de ne pas laisser seuls, la nuit, mes cinq enfants (nos campagnes sont parfois aussi peu sûres que nos banlieues). Une nuit, à 2 heures du matin, je me suis endormie sur la route lors d’une visite, en réponse à un appel. J’ai réussi à éviter le fossé.Il s’agissait d’une crise de nerfs pour « conjugopathie ».

Cet exemple illustre la réalité de l’exercice en milieu rural. Nous sommes « de service » parfois 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, de gré ou par la force des réquisitions préfectorales.

Si je m’étais tuée en voiture, cette fameuse nuit, je n’aurais pas reçu de médaille, et mes enfants n’auraient eu droit à aucune aide. Nous sommes dans l’illégalité la plus totale, indéfendables sur le plan juridique en cas d’erreur de diagnostic, impossibles à assurer avec de tels horaires de travail à un si haut niveau de responsabilité. Nous travaillons jusqu’à l’épuisement, et sans autre reconnaissance que le discours monocorde, délétère, sur les insuffisances des médecins généralistes.

Pourquoi la jeune génération, sélectionnée au concours de première année de médecine sur son intelligence, serait-elle assez bête pour se lancer dans une telle aventure~?

Monsieur le Président, je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous ignorez cette situation. La vie d’un médecin n’a plus rien de poétique, entre le harcèlement paperassier des caisses d’assurance-maladie, la pression de travail au quotidien, l’impossibilité de se reposer la nuit ou le dimanche, les kilomètres à parcourir pour les visites, et le risque juridique à chaque consultation.

Les services d’urgence reçoivent le quart de la population française chaque année en France… Ce chiffre pharaonique ne refléterait-il que l’incapacité des libéraux à assurer leur tâche~? Ne peut-on pas l’interroger comme une manne financière et une porte d’entrée vers l’hôpital public~? Un Français sur quatre, chaque année, serait-il à ce point malade qu’il ne puisse attendre d’être reçu par son médecin~?

Monsieur le Président, la permanence des soins est une mission de la Fonction publique. Beaucoup, parmi nous, rêvent de devenir enfin des salariés de la Fonction publique, travaillant 35 heures par semaine avec rémunération et défiscalisation des heures supplémentaires. Il ne serait même plus envisageable de nous réquisitionner pour travailler la nuit ni le week-end. Pourquoi ne pas nous faire une telle proposition~?

Demain, les assurés sociaux, qu’ils soient du sud ou du nord, de la ville ou de la campagne, devront parcourir des kilomètres ou attendre longtemps pour se faire soigner. Les médecins généralistes, eux aussi, ont puisé dans leurs ressources de patience, de compétence, de courage, de tolérance, mais, faute de moyens pour exercer l’ensemble de leurs missions, et en l’absence de reconnaissance, la médecine générale ne pourra que disparaître.

Veuillez recevoir, monsieur le Président, l’expression de mon espoir d’un autre discours à l’avenir et de ma plus haute considération.

Dr Guillemette Reveyron, Châtillon-sur-Chalaronne (Ain)

À Philippe Corcuff

En lisant ton article (« Des limites de l’antilibéralisme », dans le n° 970 de Politis ) je trouvais que tu faisais une nécessaire et pédagogique distinction entre libéralisme(s) économique(s) et politique(s), où l’antilibéralisme, terme aussi vague que non défini dans ses (més)usages, a longtemps servi de carburant « sloganique » et idéologique aux divers mouvements anticapitalistes.

Mais je ne pense pas, comme tu l’écris, qu’ « historiquement, cela a été positif, stimulant un mouvement de relance sociale et intellectuelle. Aujourd’hui, cela tend à favoriser ambiguïtés politiques et paresses intellectuelles » . Je pense, au contraire, que cela a institué un mauvais pli de réflexion et d’action, et ceci dès le départ de son utilisation, devenant une sorte de réflexe conditionné dont peu arrivent à rectifier leur objet de crainte, favorisant ce que tu diagnostiques comme une position d’ambiguïté et de paresse intellectuelle. Ceci au risque de repartir sur « deux siècles » d’explications face à cette « dénonciation rudimentaire » . Effectivement, « l’anticapitalisme apparaît comme une bannière moins ambiguë que l’antilibéralisme » . Peut-être parce que dans nos sociétés de progrès et de « bougisme », le mot anticapitalisme est moins « people », moins « in », moins à la mode qu’antilibéralisme.

Enfin, pourquoi ne pas parler de « social-libéralisme libertaire » là où tu revendiques une « social-démocratie libertaire »~? Au moins, ça chatouillerait peut-être plus les esprits.

Valéry Rasplus, sociologue

Le Marché

Il en est ainsi du yaourt. Convaincus, comme il se doit, que le Marché nous prend pour des veaux de batteries, vous pouviez continuer à acheter vos yaourts nature dans votre coin pour pouvoir, à la maison, les consommer tels quels, ou sucrés, ou salés, ou bordés de confiture dans un ramequin les dimanches où la pluie vous conviait à rester au chaud.

Vous participiez ainsi au commerce du yaourt, du fruit à confiture (lorsque la saison s’y prête), à la survie de la betterave sucrière et de son fabricant. Incidemment, même, au développement du marchand de vaisselle à dessert.

Vous pouviez prendre la liberté de ne céder en rien à la loi du Marché, qui, depuis des décennies maintenant, nous serine à grands renforts de panneaux sirupeux combien notre survie dépend de ces produits toujours bons parce que nouveaux, toujours indispensables parce que pensés pour nous. En rien ou en si peu~; bref, vous essayiez de rester des consommateurs dignes, au nom de ce cerveau qui fait de nous (jusqu’à ce jour au moins) une espèce supérieure au premier bivalve aquatique venu.

Vous pensiez possible cette résistance farouche et gustative, à l’heure où le premier scientifique indépendant (il en reste) nous prévient avec vingt ans de retard des méfaits possibles de toutes les substances que le susdit Marché, grande soit sa magnificence, ajoute à la pelle dans nos assiettes comme à l’auge de nos gorets.

De même, vous restiez accrochés, comme par enfantillage, à quelques valeurs anciennes~: la solidarité, l’attention, le respect de l’histoire et des hommes, la recherche de l’égalité et l’irrésolue certitude que seule la vie commune peut nous rendre libres à nous-mêmes. Vous poussiez même la poésie à penser que ces valeurs peuvent se transmettre par l’éducation.

Bref, il faut bien le dire, vous étiez un archaïque. Un obscur attaché à défendre ce qui ne se vend pas.

Même un socialiste moderne vous le dira. Le Marché est incontournable. Qu’il fabrique de l’exploitation de petit Asiatique comme du désespoir de délocalisé, qu’il s’appuie sur le développement d’un individualisme aussi forcené que destructeur, qu’il fasse éclater le lien social au nom de la liberté du choix d’acheter de la merde, le Marché est là et bien là. Il bouffe nos consciences, il avilit nos mômes, il phagocyte notre information, mais il est Grand.

Vous en conviendrez, une telle posture ne manquera pas de compliquer la tâche d’opposant à un régime qui brandit le Marché aussi mécaniquement que les Pékinois levaient autrefois en masse leur Petit Livre rouge . Le Président, notre Président du Grand Tout, agit comme un produit d’appel. Il traîne après lui toutes les rancoeurs de petits boutiquiers, les mesquineries de voisins jaloux, les audaces frileuses de calomniateurs anonymes. Son discours sent la franchouille populiste et le casseur de nègres comme de « rouges ».

S’opposer à cela tout en défendant le Marché~!~?

C’est sans doute la peur du grand écart qui fait se recroqueviller dans des querelles peu glorieuses les toujours porte-parole de la gauche de gouvernement, c’est avec une étonnante rigueur que les médias « indépendants » les convient à de telles mascarades politiques.

Nous pourrons donc continuer à acheter du yaourt de riche, les pauvres choisiront de l’être et en seront responsables, nos enfants nous traiteront de sales cons. Vous savez combien parfois les enfants sont, avec leur rudesse un peu dérangeante, dans le vrai.

Henri Clavé, Limoges (Haute-Vienne)

L’indépendance d’esprit

Comme beaucoup de lecteurs, j’ai apprécié Fabrice Nicolino quand il travaillait (bien) pour Politis , et puis […] des divergences de vue l’ont éloigné de votre journal. Je n’ai pas lu son dernier livre, mais je sais tout le bien qu’il faut en penser.

Par ailleurs, je sais aussi son indépendance d’esprit, cette indépendance qui lui permet, je suppose, d’écrire tout le mal qu’il pense de la droite et de la gauche (cf. le bloc-notes de Bernard Langlois dans le n° 967). Mais là où je ne suis pas d’accord, c’est quand il dit qu’il « vise la droite comme la gauche et les Verts aussi, évidemment » . C’est cet « évidemment » qui me hérisse, car il est trop facile de mettre dans le même panier tous les partis politiques~: faut-il rappeler que les Verts n’ont eu que des portefeuilles ministériels avec l’impossibilité de pouvoir prendre des décisions sans avoir à subir le bon vouloir des ministères de l’Agriculture ou des Transports, pour ne citer qu’eux~? En son temps, Corinne Lepage n’avait rien dit de différent… mais elle n’est pas membre des Verts.

L’indépendance d’esprit a ses limites.

Philippe Gardelle (courrier électronique)

Courrier des lecteurs
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