Pourquoi il faut réguler la finance

Philippe Matzkowski  • 10 janvier 2008 abonné·es

Le capitalisme a évolué au fil de l’histoire : depuis une vingtaine d’années, nous parlons de capitalisme financier, reposant sur le concept fondamental de shareholder value , avec la surcréation de valeur pour l’actionnaire, qui donne toujours plus de pouvoir aux financiers. Les LBO [^2] mis en oeuvre par les fonds d’investissement illustrent parfaitement ces évolutions, avec un renforcement de la pression financière sur les entreprises. Dans un processus de déréglementation générale de nos systèmes politiques et financiers, les marchés se livrent à une concurrence planétaire effrénée, dont la plupart d’entre nous mesurent encore mal les conséquences dramatiques et sans doute irréversibles.

Ce capitalisme sauvage conduit à la destruction de nos équilibres écologiques, sociaux, économiques et politiques, à la fragilisation de nos systèmes de production et de notre démocratie, ainsi qu’à la disparition des outils historiques essentiels à la poursuite du progrès économique et social dans notre pays.

Des critiques ­ à commencer par celles de Nicolas Sarkozy ­ commencent à s’élever contre cette prise de pouvoir des financiers et alertent sur les dangers de ce nouveau capitalisme. Dans les entreprises, si des syndicalistes non inféodés aux pouvoirs en place réagissent, ils ne sont pas les seuls. Des patrons et des cadres dirigeants commencent à prendre conscience du risque phénoménal engendré par ces pratiques. Pour ces acteurs au centre de la vie économique, le marché financier n’est pas non plus une fin en soi. Et, de leur propre avis, il est urgent que les syndicats de salariés, mais aussi tous les citoyens, s’emparent de ces questions, afin de peser sur l’organisation d’une régulation rapide et contraignante conduisant les responsables politiques et les élus de la nation à légiférer.

Les orthodoxes du capitalisme financier redoutent une telle régulation car elle entraînerait un tarissement de leurs revenus exponentiels ; cependant, ils semblent ignorer que le système qu’ils défendent, voire qu’ils promeuvent, est tout aussi destructeur de démocratie, de liberté et d’espoir, qu’une économie trop administrée. L’autorégulation du marché a montré à nouveau ses limites. À tel point que les banques centrales sont contraintes d’intervenir pour soutenir le système financier mondial à la suite de la récente crise des subprimes aux États-Unis. Cette régulation-là ne semble d’ailleurs pas déplaire aux financiers voyous : non seulement elle couvre leurs exactions sans leur imposer de sanctions, mais elle leur permet également de continuer à asseoir leur pouvoir fiduciaire sur la plupart des économies nationales.

Pour ceux qui en doutaient encore, il est clair maintenant qu’il existe une potentialité croissante d’amorçage de crises financières majeures en tout point du globe, et que les régimes politiques libéraux, intimement liés aux marchés qu’ils contribuent à déréguler, sont dans l’incapacité d’y faire face sans dégâts pour l’économie réelle. Garantir pour les entreprises un accès égalitaire au crédit productif sans aliéner les entrepreneurs au pouvoir d’actionnaires ou de créanciers spéculatifs ; renforcer les droits d’intervention des salariés dans les institutions représentatives du personnel ; imposer la transparence des montages financiers : voici quelques-unes des pistes développées par le Collectif LBO. Cela n’implique pas le blocage de la vie économique d’une entreprise socialement responsable. Bien au contraire, lorsque toutes les parties prenantes concourent à la création et à la distribution équitable des richesses, cela contribue au développement économique durable des territoires et des bassins d’emplois, et favorise la démocratie sociale dans les entreprises.

L’accès au crédit facilité pour les sociétés ; des relations moins contraignantes aux donneurs d’ordre ; une transmission des patrimoines industriels, mais aussi des savoir-faire et des compétences garantissant la pérennité des activités et des emplois, constituent quelques-unes des défis majeurs de la période, selon un grand nombre de dirigeants d’entreprises. C’est pour cette raison que l’action engagée par le Collectif LBO pour la mise en place d’un outil alternatif au sacro-saint marché financier, nécessaire pour atteindre ces objectifs, est considérée comme indispensable.

C’est dans cette perspective de progrès historique que notre action s’inscrit, afin de parvenir à une régulation de la finance profitable à tous. À ces patrons et cadres dirigeants, acteurs économiques, citoyens souvent limités dans leur liberté ou leur champ d’expression, le Collectif LBO, collectif syndical, est prêt à porter la voix, et bien au-delà !

[^2]: LBO signifie « leverage by out ». Cette terminologie anglo-saxonne cache une technique d’acquisition d’entreprises par des fonds d’investissements avec des financements bancaires. Les repreneurs cherchent ainsi à dégager la meilleure rentabilité financière afin de revendre l’entreprise avec une plus-value.

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