« Prouver notre différence »

Le nouveau président d’Artisans du monde, Stéphane Le Borgne, a le même âge que l’association : 33 ans. Pour lui, le commerce équitable doit mettre le paquet sur la garantie de la filière.

Philippe Chibani-Jacquot  • 4 janvier 2008 abonné·es

Vous avez 33 ans, soit le même âge qu’Artisans du monde, dont vous venez de prendre la présidence. Comment voyez-vous cette évolution générationnelle de l’association ?
Stéphane Le Borgne : Cette évolution me semble logique car nos associations veulent mettre en place des fonctionnements différents. Je ne dirais pas qu’elles cherchent du sang neuf, mais plutôt à mixer les générations. Ça montre bien le tournant qui a été pris par les associations tiers-mondistes vers une structure plus politique. L’appel lancé en 1971 par l’abbé Pierre pour venir en aide aux populations du Bangladesh était né d’une volonté d’offrir une alternative et un débouché aux populations au Sud qui étaient en situation très délicate. Moi, je suis entré à Artisans du monde en me disant qu’il fallait changer les règles du commerce international.

De quelle manière faut-il travailler pour que le commerce équitable ne se résume pas à une offre de produit mais existe aussi par son interpellation politique ?
On entend bien que tout produit doit comporter l’aspect politique. C’est pour cela qu’on associe à chaque produit une information développée concernant les producteurs, les conditions de production, les impacts mais aussi les limites pour les producteurs, car il faut savoir les reconnaître. Pour exister, le commerce équitable a besoin de produits de qualité et d’informations précises sur leur spécificité. Notre clé commerciale, c’est de prouver notre différence au moment où la question de la garantie est un peu chahutée.

Des marques avancent dans leur démarche commerciale, certaines ouvrent des boutiques, voire des réseaux franchisés (Alter Mundi, Ethos, Idéo). Comment Artisans du monde se prépare-t-il à ces évolutions ?
Nous cherchons à renforcer la notoriété de la marque Artisans du monde via le produit et le réseau. Cinq boutiques sont maintenant aménagées selon la charte Artisans du monde, et six ou sept autres sont prévues pour 2008. On avance aussi sur la modernisation de l’offre de produits avec de nouvelles gammes, comme les cosmétiques qui sont sortis, il y a peu, en magasins. En termes de professionnalisation, Artisans du monde a fait de l’emploi un facteur important. Il n’y a que 115 salariés, mais la situation progresse. Sans compter que, pour nous, la professionnalisation ne passe pas uniquement par le salariat. Le bénévolat a été affirmé comme une valeur fondamentale d’Artisans du monde, nous nous attachons aussi à renforcer les compétences des militants, notamment via un programme de formation sur l’information produit, le merchandising, le plan commercial… Cela s’adresse tant à un public salarié que bénévole.

Comment vous positionnez-vous par rapport au débat sur la normalisation du commerce équitable ?
On déposera auprès de la Commission nationale du commerce équitable (qui verra peut-être le jour, on attend les circulaires) un système de garantie filière, car nous ne voulons pas d’un produit équitable distribué dans un réseau non équitable. Ce qui nous importe, c’est bien la cohérence de la filière : le producteur, qu’il soit au Sud ou au Nord, le transporteur (domaine dans lequel nous ne sommes pas encore au point), la centrale d’importation et le réseau de distribution. La garantie commerce équitable doit commencer par la transparence, la juste rémunération des intervenants
de la filière et l’organisation démocratique. La Fédération Artisans du monde a été reconnue officiellement FTO (Faire Trade Organisation, label de l’Ifat) il y a quelques semaines, en tant qu’organisation de commerce équitable. Le système de l’Ifat intègre une part de contrôle externe, une part d’autoévaluation et une part d’évaluation croisée.

Vous qui êtes auditeur ISO 14001, comment envisagez-vous l’indépendance du contrôle ?
Il faudrait s’entendre sur ce que représente un contrôle extérieur et indépendant. Moi qui suis contrôleur ISO, je sais aussi que la relation client-fournisseur existe. Du coup, l’aspect partenarial me paraît important. Comme la conjonction du contrôle externe avec de l’autoévaluation, de l’évaluation croisée entre associations, par exemple, pour ce qui concerne la garantie au Nord. Et une évaluation des producteurs du Sud, qui viendraient voir, avec une grille de lecture spécifique, les associations locales ou la fédération. Pour ce qui est de la formalisation de notre propre système de garantie, on ne veut pas partir sur un système où seul le Nord vient contrôler le Sud. Tout ne peut pas se résumer à un cahier des charges « produit » ignorant les situations locales, politiques et économiques – fluctuantes – de chaque pays. Il y a encore des choses à inventer pour affiner ce système de partenariat et de garantie.

Fédération Artisans du monde, 53, bd de Strasbourg, 75010 Paris, 01 56 03 93 50, info@artisansdumonde.org

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