Vers une chute du mercure

La Norvège, premier pays à bannir totalement le mercure, devrait bientôt faire école. Mais il subsiste de fortes résistances, notamment en France concernant les amalgames dentaires.

Patrick Piro  • 10 janvier 2008 abonné·es

C’est une décision de poids, elle est pourtant passée inaperçue : depuis le 1er janvier, la Norvège interdit totalement l’utilisation du mercure dans la fabrication de produits, ainsi que les importations et exportations de produits contenant cet élément chimique hautement toxique. C’est le premier pays à prendre cette décision radicale, alors que plusieurs pays restreignent depuis plusieurs années l’utilisation du mercure. C’est un polluant parmi les plus dangereux, en particulier sous forme de méthylmercure, qui s’accumule dans la chair des animaux aquatiques (poissons, fruits de mer, etc.), et dont l’ingestion provoque notamment des maladies neurologiques, voire le décès. Les femmes enceintes et les enfants y sont particulièrement sensibles.

Illustration - Vers une chute du mercure

Les amalgames dentaires contiennent 50 % de mercure, alors qu’il existe des composites performants. DANIAU/AFP

Commentaire du ministre de l’Environnement norvégien, le 21 décembre : « De bonnes alternatives au mercure existent déjà, cette interdiction est donc pertinente. » Des propos à l’usage du Conseil de l’Europe, qui avait adopté la veille une position sur un prochain règlement communautaire concernant l’un des aspects du problème : le traitement et l’élimination des 14 000 tonnes de mercure issues de procédés obsolètes de l’industrie de la soude et du chlore. Sous réserve d’un vote définitif au printemps, ces déchets seraient interdits d’exportation d’ici au 1er juillet 2011 (l’Europe est le premier exportateur de mercure au monde), et la Commission européenne devra produire avant juillet 2010 un rapport sur des options sûres de stockage ­ ce qui menace la voie de l’enfouissement dans des couches géologiques profondes, critiquée. « C’est une avancée louable , reconnaît Wiebke Winkler, responsable de la campagne « Santé et environnement » du Centre national d’information indépendante sur les déchets (Cniid)
^2, mais nous regrettons une échéance tardive, et qui ne concerne que la forme métal du mercure, laissant la possibilité de l’exporter s’il est transformé en composés, notamment vers des pays du Sud. »

Une directive adoptée en 2007 règle un deuxième chapitre du dossier mercure, celui des instruments de mesure. Les fabricants doivent l’avoir éliminé des modèles grand public (thermomètres d’appartement, etc.) [^3] et professionnels (tensiomètres, etc.) entre avril et octobre 2009.

Reste un troisième chapitre, de loin le plus délicat : les amalgames dentaires, improprement appelés plombages, et qui recèlent 50 % de mercure. Dans un document stratégique de 2005, l’Europe se contente de demander des compléments d’information sanitaire et environnementale, dont les conclusions étaient attendues fin 2007. Le Parlement européen avait souhaité, dans une résolution de mars 2006, une limitation de l’usage du mercure. Commentaire de Marios Matsakis, son rapporteur : « Il est tout à fait inacceptable […] de continuer à insérer une substance aussi potentiellement toxique dans la bouche des citoyens alors qu’il existe des alternatives plus sûres. »

À ce jour, l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, le Danemark et le Japon limitent déjà le recours au mercure dans les amalgames. La Sécurité sociale suédoise ne les rembourse même plus depuis 1999, au point qu’ils représentent désormais moins de 5 % des soins d’obturation.

La Norvège, en décrétant l’élimination totale du mercure, amalgames compris, provoque donc une avancée notable sur le sujet. La Suède et le Danemark ont annoncé qu’ils lui emboîteraient le pas dès avril prochain. Argument commun : les composites ont fait suffisamment de progrès, dans les techniques d’obturation, pour que l’on puisse se passer des amalgames.

Pourtant, il reste particulièrement délicat d’aborder la question sous son angle sanitaire (voir ci-contre). Il est symptomatique que l’annonce norvégienne ait été faite par le ministre de l’Environnement, et que les principaux opposants au mercure dentaire soient des organisations écologistes. Au nom d’arguments incontestables, cependant. Selon un rapport de la campagne « Zéro mercure » du Bureau européen de l’environnement (BEE) [^4], les dentistes de l’Union utilisent 125 tonnes de mercure par an, ils en sont les deuxièmes consommateurs derrière l’industrie de la soude et du chlore. Et les mâchoires européennes en contiennent environ 1 100 tonnes. Les amalgames seraient ainsi la première source de pollution mercurielle des eaux usées, car même en imposant aux dentistes sa récupération, le mercure dentaire se retrouve encore trop fréquemment dans les sols, les nappes phréatiques ou l’atmosphère, qu’il s’agisse de déchets d’interventions ou de la dispersion des amalgames après le décès des personnes en possédant. Le recours croissant à l’incinération ­ un tiers des décès en Europe, contre un quart il y a dix ans ­ accentue le phénomène. En 2000, le ministère suédois de l’Environnement évaluait à 280 kg/an les vapeurs de mercure émises par la crémation, le tiers des émissions du pays, qui les a pourtant réduites de manière draconienne.

Dans les bouches, tout ce mercure y revient un jour en partie, consommé avec la chair des poissons qui l’ont accumulé a posteriori . Les défenseurs acharnés de l’amalgame, comme le Conseil de l’ordre des dentistes, persistent pourtant à incriminer l’alimentation comme cause première des fortes teneurs en mercure constatées dans le sang de porteurs de plombages. Cherchez l’erreur…

[^3]: C’est déjà le cas depuis une décennie pour les thermomètres médicaux.

[^4]: « Mercury in Dental Use : Environmental Implications for the European Union », mars 2007.

Écologie
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