« Comment j’ai rencontré la question palestinienne »

Parmi les photos les plus belles et les plus symboliques sur la Palestine, celles du grand photographe japonais, Ryuichi Hirokawa*. Il présente ces jours-ci à Paris son film, « Nakba ».

Denis Sieffert  • 14 février 2008 abonné·es

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la question palestinienne et à travailler sur ce sujet ? Et depuis quand ?

Ryuichi Hirokawa : Je suis allé en Israël en mai 1967, à la fin de mes études. Pendant que j’étais à l’université, il y avait des mouvements étudiants très actifs. J’ai réfléchi aux problèmes posés par ces mouvements, j’ai eu l’occasion de lire Chemins en utopie, de Martin Buber, philosophe juif, dans lequel le kibboutz en Israël était présenté comme une expérience du socialisme qui n’avait pas encore échoué. C’est dans ce livre que j’ai trouvé la motivation de me rendre en Israël. J’ai été stagiaire dans un kibboutz. À peine un mois après mon arrivée, la guerre des Six-Jours a éclaté. Pendant que les jeunes volontaires internationaux travaillaient au kibboutz, les jeunes juifs de la communauté sont partis au front.

La guerre s’est terminée assez vite. Alors, j’ai visité Jérusalem occupée. Dans la Vieille Ville, j’ai vu un garçon au sourire crispé agiter vivement un drapeau blanc dans ma direction. Pour lui, j’étais un occupant. J’ai été bouleversé qu’il me considère comme tel. Je pense qu’il faisait ce geste pour ne pas être tué.

Un jour, alors que je travaillais dans un champ de tournesols, j’ai aperçu, à côté, des débris de pierres blanches. J’ai demandé aux habitants du kibboutz de quels vestiges il s’agissait. Mais je n’ai pas eu de réponse. Un an plus tard, j’ai su qu’il y avait de nombreux juifs israéliens qui n’étaient d’accord ni avec la guerre ni avec l’occupation et j’ai adhéré au groupe Matzpen. Un de mes camarades m’a apporté une vieille carte de la région, élaborée par les Anglais avant la création d’Israël, en me disant : « C’est ça que tu cherchais ? » J’y ai trouvé le nom arabe du village palestinien à l’endroit du champ où j’avais travaillé. C’est comme cela que j’ai rencontré la question palestinienne et que j’ai commencé à enquêter et à archiver des documents sur les villages disparus.

Pourquoi les photos témoignant du sort des Palestiniens, les vôtres et d’autres, n’ont-elles pas tellement accès aux grands médias internationaux ?

La photographie est un produit commercial. Elle arrive dans les médias après avoir été distribuée en tant que telle. Les photojournalistes et les agences de presse essaient de faire des photos faciles à vendre. Dans la plupart des cas, il s’agit de photos convenables pour l’État dans lequel elles paraissent, et pour les lecteurs qui ont envie de les voir juste pour le plaisir. Par ailleurs, les médias sont, bien entendu, soutenus par les annonceurs, qui réclament des informations incitant le public à l’achat. Par exemple, dans le cas de la guerre d’Irak, la population du pays qui agresse veut voir les photos des lancements de missiles, mais pas de photos des blessés par ces missiles. Enfin, les nouvelles sur la société des Blancs, donc occidentale, sont bien plus appréciées, malheureusement, que celles des autres sociétés.

En ce qui concerne la question palestinienne, la tendance est de traiter avec plus d’ampleur les dommages causés aux Israéliens que ceux que subis par les Palestiniens. Parce que, jusqu’à présent, depuis la fondation de l’État d’Israël, depuis que des milliers de Palestiniens sont devenus des réfugiés en 1948, on a laissé le monde ignorant de la vérité de ce qui s’est passé durant cette période. Il est important de modifier la tendance médiatique sur ce sujet. Des preuves importantes ont été cachées. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai fait le film Nakba, Palestine 1948 [^2]

Pour quelle raison êtes-vous passé de la photo à la caméra ?

J’ai l’intention de revenir à la photographie. Mais chaque thème doit être traité avec le procédé le plus adéquat. Pour rassembler des témoignages, j’ai choisi la caméra. Ce que je n’arrivais pas à exprimer à travers le documentaire, j’en ai tiré un roman. Mais, c’est mon métier de photojournaliste que j’aime le plus.

[^2]: Le film ~Nakba~sera projeté le 16 février, à 21 h 30, au cinéma Les Trois-Luxembourg, à Paris VIe.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Des deux côtés de l’Atlantique, la social-démocratie n’est jamais finie (mais c’est pas jojo)
Analyse 6 juin 2025

Des deux côtés de l’Atlantique, la social-démocratie n’est jamais finie (mais c’est pas jojo)

Les gauches sont bien à la peine à l’échelle mondiale. Trop radicales, elles perdent. Les moins radicales sont diabolisées. Toutes sont emportées dans un même mouvement. Pourtant, dans un monde où les vents de l’extrême droite soufflent fort, la social-démocratie n’a pas encore perdu la partie.
Par Loïc Le Clerc
Avoir moins de 20 ans dans la bande de Gaza
Récit 4 juin 2025 abonné·es

Avoir moins de 20 ans dans la bande de Gaza

Plus de 50 000 personnes au sein du territoire enclavé ont été tuées ou blessées par l’armée israélienne depuis le 7-Octobre. Mais le sort des survivants doit aussi alerter. Privée d’éducation, piégée dans un siège total au cœur d’une terre dévastée, toute la jeunesse grandit sans protection, sans espoir.
Par Céline Martelet
À Gaza, « les enfants sont en train d’être exterminés »
Entretien 4 juin 2025 abonné·es

À Gaza, « les enfants sont en train d’être exterminés »

Khaled Benboutrif est médecin, il est parti volontairement à Gaza avec l’ONG PalMed. La dernière fois qu’il a voulu s’y rendre, en avril 2025, Israël lui a interdit d’entrer.
Par Pauline Migevant
En France, la nouvelle vie des enfants de Gaza
Témoignages 4 juin 2025 abonné·es

En France, la nouvelle vie des enfants de Gaza

Depuis le début de la guerre dans l’enclave palestinienne, les autorités françaises ont accueilli près de cinq cents Gazaouis. Une centaine d’autres ont réussi à obtenir des visas depuis l’Égypte. Parmi ces réfugiés, une majorité d’enfants grandit dans la région d’Angers, loin des bombardements aveugles de l’armée israélienne.
Par Céline Martelet