La folie autoroutière

Au mépris des décisions prises lors du Grenelle de l’environnement, les projets de construction de voies d’autoroute se multiplient.
Écologiquement aberrants, mais électoralement payants.

Claude-Marie Vadrot  • 7 février 2008 abonné·es

Préparation de nouvelles autoroutes et divers contournements : les « décisions » du Grenelle de l’environnement, si tant est que l’on ne les confonde pas avec des voeux pieux, ne sont manifestement pas parvenues jusqu’aux oreilles de la Direction des routes et des nombreuses collectivités territoriales. Aucun projet de construction, fût-il lointain, n’est abandonné. Le plus bel exemple : celui de l’autoroute de contournement de Bordeaux. Retoqué puis abandonné par le maire de Bordeaux, Alain Juppé, ce projet a été en réalité « ajourné » ­ dans de nombreuses régions, « ajourné » signifie « repoussé après les élections municipales et cantonales ». Le projet bordelais a d’autant plus de chances d’être mis en route que le concurrent à la mairie de l’éphémère ministre de l’Écologie est d’accord avec lui à ce sujet. Tout comme ils s’accordent, et de nombreux élus avec eux, pour construire la A 62, qui reliera la région de Bordeaux à Pau à travers la forêt des Landes. Ils s’activent donc. Pourtant, si l’on s’en tient aux décisions du Grenelle et aux déclarations du Président, cette nouvelle voie ne devrait pas voir le jour.

Illustration - La folie autoroutière

Visite du tunnel, long de 4,5 km, en contruction sur l’A 86, entre l’A 13 et Rueil-Malmaison. SAGET/AFP

La A 32, devant relier l’Est de la France au Luxembourg à travers la Moselle, reste également programmée parce que le ministère des Transports a décidé que les décisions du Grenelle ne sauraient s’appliquer aux liaisons avec d’autres pays européens.

Un fonctionnaire de la Direction des routes, à quelques mois de la retraite, et qui trouve qu’avec plus de 11 000 kilomètres aujourd’hui, contre 5 000 en 1980, le réseau est devenu trop dense, explique : « Il reste vingt-neuf projets de construction dans nos cartons. Comme il ne faut pas fâcher le BTP, nous savons que le programme risque d’être peu à peu réalisé. Y compris pour des tronçons qui ne sont destinés qu’à satisfaire des élus locaux ou régionaux. Notamment la rocade de Grenoble, qui va coûter une fortune [^2]. » Pour lui, la raison est simple : « Annoncer une nouvelle autoroute reste électoralement payant : il est facile de présenter les associations d’écologistes comme des anti-voitures primaires. Il y a des services de communication spécialisés en la matière. En lisant la plupart des dossiers, on s’aperçoit que la décision théorique est prise avant que soit posée la question de la fonction sociale ou de l’utilité du projet. Le cas de la A 41, qui doit traverser la Haute-Savoie, en est la preuve caricaturale. »

Pour avoir critiqué cette tendance, ce fonctionnaire a été « mis au placard » : « J’ai argué, en vain, qu’il fallait d’abord améliorer les routes ordinaires. On m’a répété que l’on ne pouvait installer des péages sur les nationales. Pour régler le problème, l’État les a données aux départements. Lesquels sont partis dans des délires d’élargissements, comme entre la A77 et Gien. Notamment en supprimant des centaines d’arbres. »

Au moment où des discussions se tiennent discrètement au niveau européen ­ à la demande de l’Italie ­ pour envisager de faire passer les vitesses maximales de 130 à 150 km/h, le réseau autoroutier français, qui représente déjà plus du 38 % du réseau européen, rêve de croissance. Et de s’étaler sur des voies qui, pour un bon tiers, n’ont de véritable fonction qu’au moment des vacances d’été ou d’hiver. Un détail qui pose la question de la rentabilité. Sans compter que les usagers risquent d’être pénalisés par la privatisation de tous les réseaux. Ils sont nombreux à penser que les autoroutes sont plus sûres que les autres axes routiers, même si les accidents y ont récemment augmenté.

Parmi les projets qui, selon les régions et le climat politique local, seront annoncés ou confirmés avant ou après les municipales, il faut citer celui de la A 24. Une nouvelle voie qui devrait relier Amiens et la Belgique, histoire de faire plaisir à Gilles de Robien, député-maire de la ville et président d’Amiens-Métropole. Et aussi la A 110, qui irait de la région de Chartres à Tours ; et le doublement de la A 9 dans la zone de Montpellier. Il y a encore une A 87 et une A 64. Il ne faut pas oublier non plus la très controversée A 45, qui doit éventrer la Région Rhone-Alpes, une région déjà saturée, en coupant les monts du Lyonnais. Elle devrait relier Lyon et Saint-Étienne alors que la A 47 le fait déjà. Et puis il y a les autoroutes qui n’ont pas encore de nom, mais seulement un gros dossier. On peut citer le projet qui consisterait à traverser le Berry à partir de la A 77, avec un pont sur la Loire ; une saignée au centre de la Bretagne ; une voie gagnant la pointe du Cotentin à travers une partie de la Normandie en rabotant de précieuses zones humides ; et enfin celle qui pourrait relier la A 20 à l’autoroute passant par Millau…

Mais la Direction des routes et les sociétés privées promettent « des autoroutes intelligentes [sic] pour apporter une sérénité totale aux voyages et un espace de sécurité et de mobilité durables » . Cela ne s’invente pas.

[^2]: Lire à ce sujet un passionnant chapitre du livre de Pascal Canfin et Wilfrid Séjeau, C’est pollué près de chez vous, éditions Les Petits Matins.

Écologie
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