Stratégie de la terreur

Arrestations arbitraires, tortures, le gouvernement mexicain ne lésine pas sur les moyens contre ceux qui résistent aux projets des transnationales. Et l’Europe se tait.

Françoise Escarpit  • 19 juin 2008 abonné·es

Au fond de la prison de Playas de Catazajá à Palenque, dans l’État du Chiapas, gît Eliseo, accusé d’association de malfaiteurs, de tentative de hold-up et de port d’armes interdites. Prostré, presque paralysé, main et bras droits enflés, des contusions sur tout le corps, une grosse brûlure sur l’épaule, son état physique et psychologique est terriblement inquiétant.

Illustration - Stratégie de la terreur


La police fédérale, dans le centre d’Oaxaca. Pai/Clasos.com

Un matin de février, Eliseo part travailler avec son fils, qui conduit la moto. Sur la route, en contrebas du village de Betel Yochib, une voiture rouge sans plaque renverse les deux hommes. En descendent six policiers en civil, fortement armés, qui menottent Eliseo et commencent à le tabasser. Un des policiers tire. Le projectile traverse un pied d’Eliseo.

Les deux hommes sont ensuite embarqués, destination Palenque : strangulation et asphyxie, poches de plastique plaquées sur la tête, coups de pied dans les côtes et le ventre… Le fils est envoyé en cellule, et le père laiss sans soins à l’hôpital. Sans l’intervention de la Commission civile internationale pour l’observation des droits humains (CCIODH), présente ce jour-là sur le terrain avec deux médecins, nul doute qu’Eliseo, paysan, base d’appui de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), serait mort.

Un an après l’insurrection d’Oaxaca, en 2006, la femme d’Emeterio, institutrice, se rend avec les enfants à la fête traditionnelle de Guelaguetza. Lui, maçon-plombier de son état, part travailler, mais, lorsqu’il entend la radio parler d’affrontements, il tente de les rejoindre. Ce n’est que le soir que sa famille, ne le voyant pas rentrer, se lance à sa recherche et finit par le trouver, le lendemain matin, dans un hôpital où la police l’a abandonné, entre la vie et la mort. Des images vidéo montreront Emeterio jeté à terre, roué de coups par des hommes armés de matraques et de gourdins. À l’hôpital, Emeterio est opéré, puis part, toujours dans le coma, en soins intensifs. La famille, sympathisante de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (APPO), mais pas militante du mouvement, parle et porte plainte. Le gouvernement de l’État tente de la faire taire, offre d’abord de l’argent, puis menace. En vain.

Aujourd’hui, Emeterio est en partie paralysé, il a du mal à parler, et ne peut plus travailler.

Ces cas de répression, récemment recueillis par la CCIODH, sont particulièrement significatifs des stratégies gouvernementales. On y trouve les conflits de la terre, les paramilitaires, le harcèlement des familles, les arrestations et détentions arbitraires, la division des villages, les questions environnementales, les délits fabriqués et les fausses accusations, les mauvais traitements et la torture, la corruption des autorités, l’impunité généralisée…

Sous les coups, se cachent des intérêts économiques. Le Mexique est convoité par les trans et multinationales. Le gouvernement de Felipe Calderon (PAN, droite conservatrice et cléricale), plus encore que ceux de ses prédécesseurs depuis plus d’un quart de siècle, ne répugne pas à l’offrir et à le vendre.

La privatisation de l’eau d’une région qui est l’un des réservoirs du pays suscite des actions de résistance de la société civile, tout comme l’exploitation des dernières forêts primaires, dont la biodiversité intéresse les laboratoires pharmaceutiques. Le contrôle des ressources naturelles est au cœur des luttes des communautés zapatistes. Et, toujours au nom de la mondialisation néolibérale, des projets sont mis en œuvre contre les populations locales. Dans l’État d’Oaxaca, un canal sec transisthmique pour relier Atlantique et Pacifique dans la partie la plus étroite du Mexique, un parc éolien géant le long du couloir électrique Amérique centrale-États-Unis. Ailleurs, des gazoducs, des oléoducs, des ports, des barrages, des routes pour les camions de la firme Coca-Cola. À Atenco, un aéroport international pour désengorger celui de Mexico…

La spirale de la violence est aujourd’hui entretenue par l’impunité qui couvre les policiers et autres serviteurs de l’État, mais également par l’attitude de la communauté internationale, particulièrement celle de l’Union européenne. Il y a huit ans, l’UE a en effet signé avec le Mexique un traité de libre-échange (TLCUE) comportant une clause démocratique destinée à protéger les droits sociaux des groupes indiens. Les échanges commerciaux sont passés de 19~milliards de dollars à plus de 48~milliards. L’UE vient d’annoncer qu’elle continuerait à développer ses liens avec le Mexique, sans jamais mentionner la gravissime situation des droits humains.

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