Le « rêve » d’Utopia

Au PS, un courant écologiste et antiproductiviste dénonce la croissance, la consommation et la centralité du travail pour ne rien céder au capitalisme.

Michel Soudais  • 17 juillet 2008 abonné·es

Un accident nucléaire n’aura pas suffit à sortir le PS de sa torpeur estivale. On découvre une fuite radioactive, le 8 juillet, sur le site du Tricastin, dans le Vaucluse ? La secrétaire nationale à l’environnement et au développement durable, Béatrice Marre, proche de Ségolène Royal, se fend de deux communiqués timides. Pas plus. D’abord pour souligner *« la contradiction consistant à amorcer brutalement la construction d’un second réacteur EPR alors même que n’est pas évoquée la question de la sûreté des réacteurs les plus anciens ». Ensuite pour demander « un débat public sur le nucléaire ».
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Illustration - Le « rêve » d’Utopia


Franck Pupunat au congrès du Mans, en novembre 2005. SIMON/AFP

Un débat, c’est précisément ce que réclame Utopia. « Il est urgent de stopper et de s’opposer activement à tous les projets de nouvelles ­centrales en France et dans le monde, et notamment l’EPR », clame ce courant socialiste dans un communiqué. Publié à quelques minutes du départ de la manifestation antinucléaire parisienne, celui-ci estime que « le programme nucléaire français […] ne constitue pas une solution de long terme à la crise énergétique mais une fuite en avant périlleuse ». Il signale aussi que « dans le cadre de sa contribution en préparation du congrès de Reims, Utopia appelle le Parti socialiste à prendre ses responsabilités et à privilégier un scénario fondé sur la sobriété, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables » pour « une sortie du nucléaire à l’horizon 2030 ». C’est clair et sans détour.

Le discours des « utopiens » tranche avec l’eau tiède produite ordinairement rue de Solferino. Sans doute parce que ce petit courant n’est associé que de loin à la direction du parti. Mouvement trans-partis, depuis 2003 au PS, depuis 2006 chez les Verts, Utopia milite pour « l’émergence d’une gauche ­d’avant-garde fondée sur une identité écologiste, altermondialiste et antiproductiviste, capable de transformer la société, de porter de nouveaux idéaux et de les réaliser ». Sans grande audience jusque-là puisque, au congrès du Mans en 2005, sa motion n’a recueilli que 1,2 %. Franck Pupunat, son porte-parole, qui siège au conseil national du PS, n’entend pas pour autant baisser les bras. Présent dans le monde intellectuel et associatif, avec des militants qui ne sont dans aucun de ces deux partis, Utopia a développé un cycle mensuel de conférences avec des chercheurs et des universitaires. Sa réflexion, exposée dans un manifeste [^2] publié ce printemps avec un avant-propos d’André Gorz, s’est affinée.

La contribution présentée en vue du congrès de Reims témoigne de cette maturation. La dénonciation du « dogme de la croissance » , du « dogme de la consommation » et de « la centralité de la valeur travail », cette « triple aliénation » qui constituait déjà le socle de la critique utopienne au congrès du Mans, a pris un tour nettement anticapitaliste. Le mot « capitalisme », cité quatre fois dans la contribution de 2005, apparaît vingt-neuf fois cette année. « Il n’existe pas de “bon” capitalisme », y lit-on. « C’est un système politique, un système économique, un système social qui régit la quasi-totalité des différentes sphères de la vie des individus » , affirme Utopia, qui entend plus que jamais travailler à son « dépassement » en proposant un « alterdéveloppement ».
Qui ne peut naître que d’une « rupture culturelle qui affiche clairement le primat du politique sur l’économique ».
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Certains, à la gauche du PS, qui se moquaient auparavant des élucubrations des « utopiens » regardent désormais avec intérêt leur tentative de synthèse des préoccupations écologiques et sociales. Car, même si sa contribution ne le dit pas ainsi, Utopia ne cache plus dans d’autres textes que son orientation radicale est « en rupture avec la vision social-démocrate ». Elle l’est tellement que c’est dans un brouhaha indescriptible que Franck Pupunat a présenté sa contribution, le 2 juillet, devant le conseil national du PS. Les socialistes présents ne l’auront guère entendu dénoncer le fait que le PS ait *« renoncé depuis longtemps à changer en profondeur la société »
et « se contente aujourd’hui de proposer des mesures à la marge, des mesures qui rafistolent, sans remettre en cause le système qui crée les injustices ».
Ils ne remarqueront pas plus la citation de Shakespeare, placée en exergue de sa contribution : *« Ils ont échoué parce qu’ils n’avaient pas commencé par le rêve. »

[^2]: Manifeste Utopia, Parangon/Vs, 190 p., 8 euros.

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