Courrier des lecteurs Politis 1015

Politis  • 28 août 2008 abonné·es

Siné et Charlie-Hebdo

À propos du licenciement de Siné de Charlie-Hebdo : le motif retenu contre lui est qu’il aurait tenu dans sa rubrique des propos antisémites visant Jean Sarkozy, le fils de qui vous savez, et sa fiancée. Évidemment qu’il faut être contre l’antisémitisme, cette horreur ! Mais dans le cas de Siné, cela ne serait-il pas plutôt de l’anticléricalisme ? Il a toujours « bouffé » toutes les religions. Je ne pense pas que, dans sa tête, il ait pu faire cette confusion. Même si la formulation est peut-être maladroite, je pense que c’est une connerie de l’avoir viré pour cela.
En fait, même si je n’achète plus Charlie depuis des années à cause de sa ligne éditoriale « d’extrême centre » et de l’arrogance du très pontifiant Philippe Val, il me semble que l’éviction de Siné est surtout un prétexte pour continuer à faire le ménage au sein du journal, en se débarrassant des plus radicaux (Lefred-Thouron, Philippe Corcuff, Mona Chollet, Olivier Cyran, etc.), susceptibles de trop rappeler l’esprit contestataire du Charlie des années 1970. Aujourd’hui, son « politiquement correct » et son caractère inoffensif le feront définitivement crever un jour ou l’autre.
Proposition à mon hebdo préféré : serait-il envisageable que Siné puisse « semer sa zone » dans une page de Politis ? Après tout, il fait partie de l’équipe fondatrice aux côtés de Bernard Langlois !
Fraternellement,
Jean-Yves Raymond, Villeurbanne

Le choix des mots

Je vous aime beaucoup et vous soutiens du mieux que je peux, mais pitié, arrêtez avec vos « objectifs de rendement » , que ce soit du « 1 000e abonné » ou du « 5 000e signataire » , parce que cela me fait vraiment penser à une entreprise qui doit « faire du chiffre »… Nous dénonçons et condamnons des pratiques économiques, il nous faut donc aussi ne pas les utiliser.
Même si je relativise mes propos, je pense qu’il vous faut faire attention car cela pourrait un jour se retourner contre vous.
Dominique Blondeau, Clermont-Ferrand

Réflexions sur l’appel

Fraîchement à la retraite, travailleurs sociaux et militants de l’éducation populaire depuis plus de quarante ans, actuellement engagés dans une coopérative de finances solidaires, nous ne nous sommes jamais suffisamment retrouvés dans les propositions d’un parti politique pour y militer. Alors, quand nous avons découvert dans Politis cette nouvelle approche de la politique, nous nous sommes dit : « C’est pour nous ! »
Enthousiasmés par ce projet, nous n’avons pas hésité à signer l’appel, puis, dès que nous en avons eu connaissance, à nous rendre à la première réunion accessible pour nous, en l’occurrence celle du 23 juin à Paris… Mais, à la suite de cette dernière, nous ne voyons pas comment prendre notre place dans la construction de ce projet…
En effet, nous nous attendions à un débat sur le fond et nous avons eu la sensation de participer à une réunion de coordination de représentants « d’appareils politiques » qui ont orienté très vite le débat sur la stratégie et moins sur le sens. Ceci s’est illustré, selon nous, par les échanges concernant la suite : faut-il ou non faire les prochaines réunions par arrondissement ? Ceci vient peut-être du fait que le pourquoi de cet appel est évident car déjà débattu maintes fois par la majorité des participants.
En sortant, nous avons échangé avec deux intervenants (dont l’animatrice de la réunion), sur le fait que, si les rencontres sont organisées par arrondissement, des personnes comme nous seraient exclues car domiciliées hors de Paris. Il nous a été répondu : « La réunion de ce soir était une réunion pour les Parisiens, voyez s’il y a quelque chose dans votre département »…
Nous ne comprenons pas en quoi, l’organisation territoriale est si importante pour réfléchir ensemble à une autre gauche. Sauf si nous nous situons d’entrée en position de « combat pour prendre le pouvoir ». Ce qui ne nous paraît pas le souci premier des personnes qui ont proposé cet appel…
Par contre, avec cette approche, il ne faut pas vous étonner que, dans la salle, les trois quarts des participants se connaissaient. Faisant partie du quart nouveau, même très concernés par la proposition et très motivés par l’appel, nous ne nous sommes pas vraiment sentis accueillis et nous n’avons pas su comment intervenir sans avoir la sensation de passer pour des « incultes politiques ».
Dans l’immédiat, nous prenons nos distances avec le mouvement qui s’engage à Paris, mais nous continuerons à rester informés sur l’évolution de ce magnifique projet.
Marie-Françoise et Jean-Philippe Le Noa, Versailles

Otages

Le monde entier se réjouit de la libération d’Ingrid Betancourt.
À quand la libération du peuple palestinien, otage depuis plus de soixante ans de notre lâcheté et de notre complicité ?
Serge Geitner, Lyas (Ardèche)

Les victimes ossètes

La couverture médiatique du conflit osséto-géorgien par les journaux français est tragiquement mal informée et déséquilibrée. Rien d’incroyable à cela. D’une part, le Caucase est une région du monde très peu connue qui invite au quiproquo ; d’autre part, les prises de position pro-géorgiennes des États-Unis et de l’UE convergent avec la russophobie de l’opinion publique et des journalistes français. D’ailleurs, les victimes de cette situation ne sont ni les Géorgiens, qui ont perdu trente hommes, ni les Russes, qui en ont perdu une douzaine. Ce sont les Ossètes. Enfin, et c’est là le vrai problème : que connaît-on de l’Ossétie ? Rien ou presque. […]

Le peuple ossète, par sa présence des deux côtés de la chaîne caucasienne, souffre particulièrement depuis la chute de l’URSS. Alors que la frontière qui délimitait la république d’Ossétie du Nord et la région autonome d’Ossétie du Sud n’avait aucune existence réelle sous l’URSS, elle devint effective avec le conflit osséto-géorgien post-soviétique et divisa un peuple. […] Dire qu’il n’y avait jamais eu de souci avant le conflit de 1992 serait mentir : la volonté d’union du peuple ossète avait déjà débouché sur une guerre de 1917 à 1919, qui opposa les Ossètes, majoritairement bolcheviks, aux Géorgiens mencheviks. La tentative de réunion du peuple ossète échoua. En 1922, la région autonome d’Ossétie du Sud est formée, statut qu’elle gardera au sein de la Géorgie jusqu’à la chute de l’URSS. Jusqu’au début des années 1990, les relations entre Ossètes et Géorgiens étaient bonnes, et il n’y avait pas de velléité authentiquement séparatiste des Sud-Ossètes. Le président géorgien de l’époque, Zviad Gamsakhourdia, élu sur un programme dont le slogan était « la Géorgie aux Géorgiens », retira le statut de région autonome à l’Ossétie du Sud : c’est durant cette période qu’on vint à Tskhinval et dans les villages ossètes avec des machines à écrire en alphabet géorgien pour remplacer celles en cyrillique, pour signifier que les langues ossète et russe n’avaient plus leur place dans les administrations. Cette situation et le conflit qui s’ensuivit provoquèrent l’exode de cent mille Sud-Ossètes vers l’Ossétie du Nord. […]

J’ai la chance de savoir parler et lire en ossète […], et j’ai plusieurs amis très proches dans la communauté des Ossètes de France. Je suis conscient que mon goût pour la langue et la culture ossètes font inévitablement de moi un observateur partial de la situation actuelle, et je sais qu’il n’existe pas de guerre sans torts partagés. Cependant, je suis catégorique sur un point : les Ossètes n’avaient rien à gagner à la guerre, alors que les Géorgiens avaient besoin de résoudre le problème de leurs régions séparatistes pour entrer dans l’Otan, dont le conseil approchait. Quand j’étais en Ossétie du Nord (en avril dernier), où séjournent de nombreux réfugiés sud-ossètes du précédent conflit avec la Géorgie, je me suis vite aperçu que les Ossètes ne voulaient pas la guerre, mais la craignaient. Elle est arrivée plus vite qu’ils ne le pensaient, avec une incroyable brutalité et une démesure atroce.

Ce conflit ne s’arrêtera pas demain, comme le prétendent les Géorgiens. Il ne s’agit pas simplement du soutien russe, bien qu’il soit fondamental. Que va-t-il se passer dans les prochains jours, alors que s’amorce un mouvement de solidarité nord-caucasien, où, aux alliés évidents que sont les Ossètes vivant dans la république d’Ossétie du Nord-Alanie et les Abkhazes, se joignent déjà des bataillons daguestanais, cosaques et tchétchènes ? Concernant la Géorgie, une question centrale demeure : peut-on laisser entrer dans l’Otan et dans l’UE un pays dont le dirigeant a, en quelque vingt-quatre heures, presque entièrement détruit une ville, rasé des villages et fait, aux dires des dirigeants nord-ossètes, plus de mille morts (chiffre porté à 1 400 quelques heures plus tard par le gouvernement sud-ossète, puis aujourd’hui à 1 500) ? Quel que soit le chiffre réel des victimes, l’agression géorgienne tient du nettoyage ethnique.

Peut-on laisser entrer dans l’Otan et dans l’UE un pays qui, voici un mois, avait déjà attaqué l’Ossétie du Sud et dont les 500 soldats des forces tripartites de maintien de la paix ont quitté leur poste une heure avant l’attaque ? Un pays qui rompt la trêve qu’il a lui-même énoncée (au début des Jeux olympiques) en s’attaquant à des populations civiles ?
Les commentaires de Matthew Bryza, sous-secrétaire d’État américain chargé des affaires européennes et eurasiatiques, sont dignes d’être cités entièrement tant ils renversent la réalité de la situation et montrent qu’un camp a été choisi : « La seule chose que nous puissions faire actuellement, c’est d’appeler les deux parties belligérantes à suspendre les hostilités. Nous comprenons que le gouvernement géorgien doit défendre son peuple, mais, dans cette situation, il est important de cesser le feu et de relancer le processus constructif prévu par la déclaration du président géorgien, Mikhaïl Saakachvili. » Selon lui, les États-Unis ont mené toute la journée des consultations intenses avec Tbilissi et Moscou. « La partie russe a réellement cherché à convaincre Tskhinvali de cesser les tirs, mais l’Ossétie du Sud a continué les actes de violence et les provocations » , a noté le diplomate américain. […]

Ainsi, le peuple géorgien devrait être défendu de la cinquantaine de milliers d’Ossètes qui cherchent à conserver leur autonomie ? Qu’avaient donc à gagner les Ossètes à changer leur statut déjà précaire en provoquant la Géorgie ? L’explosion du budget militaire géorgien ces dernières années (deuxième destinataire des armes américaines après Israël) et le choix de l’ouverture des JO pour la rupture de trêve montrent au contraire que l’attaque géorgienne était prévue. Et l’implication américaine est connue depuis longtemps : les propos de Matthew Bryza camouflent à peine la volonté d’une mainmise américaine sur la région. Je suis pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes – ce à quoi ne semblent pas prêts l’UE et les États-Unis, qui refusèrent de prendre en compte le référendum pourtant très clair de novembre 2006. À la question que lui pose le Figaro , « Que peut-il se passer maintenant ? » , Temour Iakobachvili, ministre d’État géorgien pour la Réintégration des territoires séparatistes, a cette réponse : « Cela dépendra beaucoup de la réaction des Occidentaux. Resteront-ils à bronzer sur la plage ? Ou donneront-ils un signal clair à la Russie pour qu’elle ne franchisse pas certaines limites ? » Ainsi, les Occidentaux devraient venir au secours des Géorgiens, qui déplorent une trentaine de morts (d’après le président Saakachvili), pour les protéger de l’agression des Ossètes, qui, en moins de 24 heures, ont perdu 1 500 hommes (d’après le président Kokoïty).

Qu’on soit pour ou contre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, on ne peut nier ceci : les victimes ne sont pas les Géorgiens mais bien les Ossètes ; et le massacre qui s’est produit le 8 août a le rythme et les proportions d’un génocide. En ce sens-là, il faut soutenir l’intervention russe, car ils sont les seuls à pouvoir protéger les Ossètes, lesquels n’accepteront jamais une force extérieure dont on sait trop qu’elle profiterait de la situation pour rendre leur territoire à la Géorgie. Ce matin encore, les nouvelles que je recevais de mes amis ossètes de Vladikavkaz étaient les suivantes : les gens à Tskhinval vivent dans les caves, beaucoup n’ont plus d’eau ni de nourriture.
Laurent Ali

Courrier des lecteurs
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