Courrier des lecteurs Politis 1017

Politis  • 11 septembre 2008 abonné·es

Et si les SDF n’existaient pas ?

Les SDF connaissent un succès médiatique incontesté depuis le tournant des années 1990. Cette évolution en matière de catégorisation s’inscrit dans la longue histoire des appellations consacrées aux miséreux : gueux, va-nu-pieds, misérables, clochards, mendiants, vagabonds, nouveaux pauvres, sans-papiers, etc. Cet acronyme (sans domicile fixe) est un outil digne de notre modernité technologique tant son efficacité est remarquable. En symbolisant la quintessence de la précarité, l’évocation de ces « exclus des exclus » possède un haut pouvoir de suggestion. Elle suffit pour créer des images fortes accompagnées de sensations compassionnelles tout aussi irrésistibles. Les SDF évoquent un puissant sens commun, sans en décrire ni expliquer la réalité. Ainsi, toutes nécessités de justification sémantique se trouvent éloignées. Pourtant, en la matière, il y a beaucoup à (re)dire. L’existence des SDF est discutable d’un point de vue sociologique, tant ce groupe est d’une grande diversité. Comme l’a montré l’Insee en 2006, parmi les 86 000 sans-domicile répertoriés, 70 000 sont des adultes accompagnés de 16 000 enfants (il est d’ailleurs plus souvent évoqué le chiffre de 200 000 à 300 000 SDF) : 45 % des personnes rencontrées sont seules et sans activité professionnelle ; 22 % sont des jeunes diplômés ; 18 % sont des femmes qui ont rompu récemment avec leur conjoint, dont les trois quarts sont accompagnées de jeunes enfants ; 13 % de personnes sans domicile sont « relativement jeunes » et « vivent en couple » ; 2 % sont âgés de plus de 50 ans. Au total, près de 80 % des SDF sont des hommes, et 30 % disposent d’un travail (CDI, CDD, intérim ou temps partiel). L’utilisation de la notion « SDF » consiste à regrouper des individus en fonction de ce qu’ils ne partagent pas. En privilégiant cette approche globalisante, nous définissons une population en fonction de la norme qu’elle transgresse (l’absence de toit). En l’occurrence, la puissance du signifié (le sens de son utilisation) est inversement proportionnelle à celle du signifiant (la description de l’objet concerné). Autrement dit, son utilisation informe davantage sur la réalité des « ADF » (« avec domicile fixe ») que de celle des personnes sans abri. […]

Si les individus qui composent le groupe des SDF existent, leurs réalités ne justifient pas leur regroupement dans une même entité catégorielle. En revanche, cette erreur n’est qu’apparente puisqu’elle cache une réelle réussite fonctionnaliste en matière de gestion des déviances contemporaines. Ce succès repose sur la création d’un groupe dont l’absence de cohérence sociologique contrecarre les politiques sociales qui lui sont dévolues. Cette inefficacité en matière d’assistance sociale garantit a contrario une efficacité en matière de régulation sociale. Ce mal traitement social en matière d’assistance cache donc une maltraitance sociétale en matière de régulation des déviances. Si toute politique repose sur une théorie, cette nouvelle forme de régulation cachée des pauvres s’établit sur le concept de « SDF ». Il est indispensable de s’attaquer à cette catégorie qui empêche de combattre ce fléau. Les SDF d’aujourd’hui sont autant régulés que les vagabonds et les mendiants d’hier. En revanche, cette opération est taboue alors qu’elle était au moins assumée avant 1992. Le traitement contemporain de la question SDF instaure donc une forme de régulation hautement cynique. Si la répression consiste à combattre ou à empêcher, la punition inflige une souffrance pour décourager toute potentialité de changement. Si la première vise la rupture, la seconde assure la continuité. Ainsi découragé, sans pour autant être interrompu, le sans-abrisme est contenu pour qu’il demeure un mode de socialisation repoussant, bien que légalement autorisé. Cette réalité sociale n’est donc plus combattue, mais entretenue, sans que nous en assumions la volonté et la responsabilité. À titre d’exemple, si les SDF meurent de froid en hiver, il est plus facile de les considérer comme irresponsables plutôt que d’accepter qu’ils rejettent consciemment une offre assistancielle éloignée de leurs besoins. Nous préférons alors collectivement dénier leur responsabilité individuelle que d’accepter la nôtre ; notamment celle de continuer à les rejeter.

Stéphane Rullac

La France et le Rwanda

Jeudi 28 août, bonne surprise, c’est la rentrée de Politis . On avait hâte de voir notre journal revenir sur une actualité qui ne s’est pas arrêtée durant l’été. Bravo pour votre réactivité en publiant la lettre de Laurent Ali, qui nous apprend tant sur l’Ossétie : le contexte régional et le vécu sur place. Une déception (le mot est faible) : rien sur le rapport de la commission rwandaise Mucyo, concernant l’implication de l’État français dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. François Mitterrand (l’homme qui aimait les ours, voir page 16 du même n°1015) avait dit en son temps qu’ « un génocide dans ces pays-là, ce n’est pas très important » . Comme pour lui donner raison, le fait que notre pays soit soupçonné d’une responsabilité dans l’exécution du dernier génocide du XXe siècle apparaît comme un non-événement : silence des responsables politiques et des médias de façon générale, qui ont préféré regarder ailleurs. Côté officiel, le ministre de la Défense a été chargé d’évacuer la question (7 août sur RFI). Avec un gros mensonge à la clé : « La France a déjà mis en place une Commission d’enquête parlementaire sur sa politique au Rwanda. » En réalité, la Mission d’information parlementaire de 1998 est loin d’avoir eu les prérogatives d’une véritable commission d’enquête : non-obligation de comparution de témoins essentiels, en particulier. Et comme plus c’est gros, plus ça passe auprès d’un public mal informé, il peut affirmer péremptoirement que l’opération Turquoise de juin 1994 a permis de s’interposer entre les belligérants. Le message est passé : aucun de nos « grands intellectuels » ne s’est offusqué que soit reprise une fois de plus par des officiels, la thèse du double génocide, sur laquelle s’appuie dans ce pays le révisionnisme à propos du Rwanda. Mensonges et déni : une spécialité française (sauce Ve République).
La liste des hauts responsables susceptibles d’être traduits en justice est disponible : outre Mitterrand (par contumace) on y trouve Hubert Védrine (le fils de son ami cagoulard Jean Védrine), Marcel Debarge, Bruno Delaye, Jean-Christophe Mitterrand… Sans oublier Balladur, Juppé, Léotard et quelques autres. Côté militaire, une belle brochette de gradés formés à l’école française de la guerre contre-révolutionnaire. Alors, chut ?

Jean-Marc Besson, Paris

Monsieur le recteur, je vous fais une lettre…

T.15 ans, a été, comme ses sœurs et frère, normalement scolarisée dans son secteur à Paris depuis la maternelle, sans aucune dérogation. En 2007-2008, un redoublement de 4e fut proposé et accepté. Le choix fut fait d’un établissement privé, dans l’espoir de stimuler la collégienne. Ce fut une erreur à bien des points de vue, dont la distance avec le domicile, les déambulations en métro devenant source d’inquiétude, particulièrement pendant les grèves de transport ! Un retour dans le secteur parut raisonnable pour la rentrée 2008. Les démarches ont été faites dans les temps, selon la procédure affichée par le rectorat. En l’absence de réponse du collège en juin, une démarche spontanée fut entreprise au rectorat, où, après plusieurs heures d’attente, l’information fut donnée que 10 candidatures du secteur restaient en suspens, mais qu’il y aurait des mouvements en été et qu’une 2e commission se réunissait fin août. Il a paru prudent aux parents d’écrire à l’inspecteur d’académie en élargissant la demande à une dizaine de collèges du même bassin de vie. Toujours sans réponse après la date affichée, une visite au chef d’établissement du collège de secteur fut à l’origine d’une information moins optimiste : il n’y avait plus aucune place en 3e depuis bien avant juin ; en général, les familles sont informées directement par téléphone. Une deuxième démarche au rectorat à J-3 de la rentrée a bien confirmé que la collégienne n’était affectée dans aucun établissement : tous ceux figurant sur la liste du secteur étaient complets avant même la première commission d’affectation. La solution était d’attendre quelques jours après la rentrée, pour connaître les taux d’occupation des classes. […]
Ce témoignage, pour dénoncer l’écart entre l’affichage fort d’une règle de droit (la scolarité obligatoire dans un collège proche du domicile) et la réalité traduite par l’inefficacité des commissions d’affectation. On ne peut admettre cette distorsion : il faut dire et redire ce non-respect du droit, afin de lutter contre le dévoiement de l’esprit et des pratiques. Car il s’agit aussi de soutenir les parents qui ne comprennent pas le jeu des institutions, ne parlent pas bien français, ne prennent pas l’initiative de quémander une information ou ne peuvent se rendre disponibles pour aller au rectorat. Du point de vue des collégiens, l’absence d’affectation à la date de la rentrée peut-être très anxiogène. Ils sont moins confiants vis-à-vis des dispositifs d’encadrement, et cette incertitude les empêche d’avancer dans leurs projets, ce qui, en période d’instabilité, les pénalise un peu plus et, dans certains cas, accélère les processus de déscolarisation tant redoutés.
Mais on ne saurait s’en tenir à un témoignage individuel, il appartient aussi aux enseignants et aux parents, de faire entendre la voix de leurs organisations respectives, quand les institutions publiques parviennent aux limites de la maltraitance.

Valérie Fontaine (Paris)

La rentrée d’une « nantie »

Voici la rentrée ! Une semaine de vacances en camping en France, et repensons aux soucis qui nous attendent. […]
Je suis enseignante en maternelle. Je vis seule, divorcée, ayant opté pour la garde alternée (tous les frais liés aux enfants partagés en deux, ainsi que les prestations). Mes deux fils sont lycéens.
Mon fils aîné doit, cette année, partir à 100 kilomètres de chez nous. Il faudra faire face à 330 euros de frais de logement et 64 euros de train en plus des dépenses habituelles.
Je gagne actuellement 2 000 euros net par mois, auxquels il faut ajouter 75 euros d’allocations familiales et une centaine d’euros avec les heures supplémentaires le soir. Après la période difficile du divorce […], je parvenais ces derniers mois avec une gestion rigoureuse à faire quelques travaux d’entretien dans ma maison, à entretenir ma vieille voiture, à aller parfois au cinéma, au restaurant, à passer un week-end à Paris, à aller tous les deux ans en Afrique du Nord, où je suis accueillie.
Depuis le début de l’été, une question me hante. Pour faire face cette année à ces nouveaux frais, à quoi renoncer ? Nous sommes très fiers, son père et moi, de notre grand judoka, et nous ne pouvons l’arrêter dans sa détermination à obtenir son deuxième Dan et son brevet d’État… Il y aura donc aussi l’inscription au club. Faudra-t-il économiser l’essence, l’eau, le téléphone, l’électricité ? Nous le faisons déjà. […] Renoncer à tout achat de livres ? Ne jamais mettre les pieds dans un bar ? Ne plus voyager du tout ? […] Ne plus sortir ? Demander aux enfants de travailler en dehors de leurs études ? Cette dernière idée me paraît la plus révoltante alors que je travaille depuis plus de vingt ans.
Je suis issue d’un milieu paysan, la frugalité ne me dérange pas. Pour avoir partagé le quotidien de familles modestes du tiers monde, mes enfants et moi savons faire la part des choses entre le nécessaire et le superflu. Tous mes proches sont des gens modestes.
Ce que je veux simplement dire, c’est que, d’une part, la question de la baisse du pouvoir d’achat des Français, très à la mode ces derniers temps, ne veut rien dire. Il n’y a pas « les Français » en général, il y a des classes sociales bien différentes. Il y a des magasins où des jeunes peuvent s’acheter des jeans à plus de 150 euros, des gens qui peuvent s’attabler avec des menus à plus de 50 euros, d’autres qui peuvent partir à New York pour un week-end ou acheter des voitures neuves… Je ne rêve pas de tout ça, mais j’aimerais aussi rouler en sécurité dans un véhicule plus récent, investir dans du matériel moins consommateur d’énergie, dans l’isolation… […]
D’autre part, il faudrait vraiment distinguer ceux qui vivent à deux et les familles monoparentales. Ma vie n’est plus du tout ce qu’elle était avec deux salaires.
Avant la question du pouvoir d’achat et celle de l’augmentation des salaires, il faut poser la question de l’inégalité. Je vois tant de gens autour de moi qui travaillent dur (oui, oui, Monsieur le Président !) et doivent renoncer à tout : aux sorties, aux steaks, aux vêtements… Certaines questions doivent être posées. Notre conseil régional paye les livres des lycéens, c’est très bien. Les allocations familiales, c’est très bien, mais, au risque de choquer (je me souviens d’une proposition d’un gouvernement socialiste à ce sujet !), je pense que ces aides devraient être soumises à conditions de ressources. Que représentent 150 euros d’allocations familiales pour une famille qui gagne 10 000 euros mensuels et pour une maman seule, caissière, qui gagne 800 euros par moi ?
Alors je ne serai probablement pas des combats de la rentrée, même si je continue à être syndiquée. Non que la politique actuelle ne me révolte pas, mais je ne pourrai me permettre de perdre la moindre journée de salaire. Je me demande parfois si je ne devrais pas renier mes idées au point de faire des heures supplémentaires pendant les congés scolaires, alors que je pense que ce gouvernement casse l’Éducation nationale et se moque des jeunes en difficulté.
Je me dis qu’il faut se battre, bien sûr, mais j’ai aussi l’impression que nous sommes soumis comme nous ne l’avons jamais été : les charges, l’avenir de nos enfants…

Marie Vandrand, Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)

Les dérives de la SNCF

Un grand merci pour votre excellent article sur les dérives de la SNCF (Politis n° 1011), ou devrait-on dire de la future « SNCF-Airlines ». J’y retrouve un écho des propos hallucinants de Vincent Doumayrou, auteur de la Fracture ferroviaire (Éditions de l’Atelier, 2007), dont je m’étonne fort que vous n’ayez pas relevé l’ouvrage qui révèle les dessous de la trop clinquante exubérance autour du TGV, qui n’est visiblement pas prêt de sauver le chemin de fer ni même de nous faciliter le voyage ! Vincent Doumayrou démontre lui aussi que les logiques de rentabilité mal dissimulées derrière ces stratégies commerciales bon marché ne sont pas toujours celles qui paient, et que nous aurions beaucoup à apprendre de nos voisins européens qui misent, eux, sur de bas prix, des trains plus fréquents, et des périphéries mieux desservies. À lire et méditer donc…

J.-B. Agnès

Élections américaines

Quoi que l’on pense de Barack Obama et de John McCain, il est certain que l’issue du scrutin américain du 4 novembre aura une influence importante sur la vie ultérieure des 7 milliards d’habitants de notre planète. Dans ce contexte, n’est-il pas hallucinant de penser que le fait que deux gamins de 17 et 18 ans aient eu, il y a quelques mois, des rapports intimes non protégés va peut-être se révéler décisif dans le choix final des électeurs américains ?

Jean-Jacques Corrio, Les Pennes-Mirabeau (Bouches-du-Rhône)

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