Question d’influence

L’organisation des Démocrates progressistes d’Amérique milite pour orienter le Parti d’Obama plus à gauche. Un travail de fond mené depuis la base citoyenne jusqu’au cœur du pouvoir, à Washington.

Xavier Frison  • 30 octobre 2008 abonné·es

« Alors, après ce que vous avez vu de la gauche américaine, vous êtes plein d’espoir ou bien totalement déprimé ? » Tim Carpenter, le directeur national des Démocrates progressistes d’Amérique (Progressive Democrats of America, PDA), a le chic pour inverser les rôles. Volubile, hyperactif, téléphone vissé à l’oreille entre deux rendez-vous, toujours prompt à faire les cent pas dans les couloirs du QG provisoire du PDA à Denver, malgré une forte claudication, il parvient encore à deviser avec trois membres du Congrès américain, encartés au Parti démocrate. Ceux-là mêmes que le PDA, une organisation de lobby politique, soutient ou tente de convaincre de glisser vers la gauche du parti de Barack Obama.

« Nous avons fondé le PDA en 2004, à la Convention du Parti démocrate, organisée alors dans le Massachusetts, se souvient Tim Carpenter. Nous étions nombreux, de la gauche jusqu’au centre du Parti, à avoir été déçus par la nomination de John Kerry. » Toujours membre du Parti démocrate, pour lequel il a dirigé de nombreuses campagnes locales et nationales, Tim Carpenter insiste sur l’originalité qui fonde le PDA, une organisation de 140 000 membres répartis dans 125 antennes régionales. « Nous avons décidé qu’il fallait agir dans et en dehors du parti. Nous devons avoir de l’influence auprès des politiques, au niveau fédéral à Washington et dans les antennes locales du Parti, où nous militons pour faire voter des résolutions favorables à nos idées, mais aussi à l’extérieur du monde politique, grâce aux citoyens. C’est toute la stratégie du PDA, explique Tim Carpenter dans un débit de mitraillette. Traditionnellement, les groupes de lobby politique aux États-Unis lèvent des fonds et les redistribuent à leurs candidats favoris. Nous ne fonctionnons pas comme ça. Nous sommes un mouvement d’action qui part du peuple. Comme vous le savez bien en France, tout bon mouvement social commence dans la rue. »

Aucun doute, le PDA s’affiche clairement à gauche : l’organisation se bat notamment pour un retrait rapide d’Irak, l’arrêt des ristournes sur les taxes pour les plus riches, la question du réchauffement climatique ou la couverture santé universelle. Mais quand d’autres mouvements de gauche regardent Barack Obama avec suspicion, le PDA ne fait pas mystère de son soutien pour le sénateur de l’Illinois. En dépit des candidatures de la vieille connaissance Ralph Nader ou de Cynthia McKinney, du Green Party (écologistes). « Quoi qu’il arrive, nous voulons que Barack Obama gagne. ­Certes, nous ne nous faisons aucune illusion, il n’est pas un vrai progressiste : pour mériter ce titre, il aurait besoin de beaucoup de travail. Mais ce qui est intéressant avec lui, c’est la dynamique qu’il crée chez les citoyens, notamment chez les jeunes, et auprès des membres du Congrès. »
Pas de place, donc, pour tout autre porte-drapeau. « Nous ne sommes ni pour McKinney, ni pour Nader, confirme Tim Carpenter. J’aime Ralph Nader et ce qu’il défend, mais je suis navré qu’il ait décidé de se représenter à l’élection présidentielle pour la quatrième fois. Il serait beaucoup plus utile en rejoignant la campagne ­d’Obama. J’aimerais aussi qu’il se porte candidat au Congrès. J’adorerais le voir au Sénat, ce serait un très bon rôle pour lui, et il y serait utile. Mais ici, dans cette élection qui sera extrêmement serrée, il peut être une menace pour la victoire d’Obama. » Plus largement, Tim Carpenter estime que le pays a « besoin de candidats aux élections nationales et locales, et de députés qui soient progressistes, pas seulement démocrates. »

Chouchouter les membres du Congrès de Washington convaincus par la cause, amadouer les indécis, travailler au corps les plus sceptiques et surtout mener la bataille des idées progressistes au plus haut niveau de ­l’État, c’est le boulot de Bill Goold. Posé, grand et fin, cheveux blancs et costume strict, il est directeur exécutif du caucus progressiste du Congrès (Congressional Progressive Caucus). Un caucus désigne un groupe de députés et de sénateurs constitué autour d’objectifs législatifs communs. Un des plus importants, à Washington, est précisément le caucus progressiste, soutenu par le PDA. *« Notre groupe compte 75 membres du Congrès,
avance Bill Goold. Ils travaillent pour imposer un agenda progressiste à Washington. » Parmi eux, « il y a de nombreux supporters de Barack Obama, qui, s’il est élu, sera le président le plus proche des progressistes que nous ayons jamais eu. Cela serait aussi l’administration la plus libérale depuis 1963 et Kennedy. » Mais rien n’est fait, et les rumeurs de dissensions entre ex-partisans d’Hillary Clinton et de Barack Obama continuent de fleurir dans la presse américaine. Cependant, le débat autour de la candidature Clinton serait définitivement clos dans les rangs des représentants du peuple. Promis juré. « Bien sûr, nous avions des supporters d’Hillary, mais la majorité était pour Obama, et désormais tout le monde est derrière lui. Vous savez, mis à part l’Irak, guerre pour laquelle Hillary Clinton a voté, les différences entre les deux candidats ne sont pas énormes. » À l’évocation d’une prochaine administration démocrate, Bill Goold salive déjà : « Si, ces dernières années, cela a été difficile d’imposer nos idées au Congrès, une victoire d’Obama rendrait les choses beaucoup plus faciles. » Parole de lobbyiste.

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