Protéger la nature ? Pas assez rentable…

Un décret va bientôt modifier l’esprit des parcs nationaux. Créés pour préserver la biodiversité, ceux-ci pourraient se transformer en outils de développement local. C’est tout un patrimoine naturel qui est menacé.

Claude-Marie Vadrot  • 11 décembre 2008 abonné·es

Les représentants et acteurs des parcs nationaux français viennent de se réunir à la Guadeloupe. Discrètement, comme s’il fallait éviter que l’opinion publique et les associations ne se posent trop de questions sur l’évolution de ces espaces engendrée par la loi de 2006. Dans un mois, un décret organisant les nouveaux conseils d’administration des parcs, avec des représentants des associations mais surtout un nombre accru d’élus locaux et régionaux, risque d’en changer l’esprit. Ces conseils d’administration devront rédiger, après d’âpres négociations, une charte d’ici à avril 2011, soumise à enquête publique avant de faire l’objet d’un décret.

Illustration - Protéger la nature ? Pas assez rentable…


Ericatus rubecula (rouge-gorge) dans le parc national de la Poudrerie, en Seine-Saint-Denis. Puygrenier/AFP

Aux inquiétudes sur le devenir de ce qui a fait jusqu’à présent le cœur de métier des parcs depuis 1960, le directeur de Parc national de France, Jean-Marie Petit, objecte qu’il « y aura des consolidations et des mises à jour, que la biodiversité reste l’objectif de ces ­espaces protégés, qu’il y aura des discussions, et [qu’il] espère que les zones périphériques, maintenant rebaptisées “zones d’adhésion”, ne pourront plus être qualifiées de zones poubelles » . Mais, symptôme du malaise, notamment des gardes moniteurs, il est révélateur que ces journées en Guadeloupe n’aient réussi officiellement à accoucher que d’un vœu banal sur la candidature des parcs nationaux français à l’inscription au Patrimoine mondial de l’humanité. De quoi faire ­plaisir à Jean-Louis Borloo, qui agite sans cesse cette marotte présidentielle. Autre prise de position : le danger que l’orpaillage, clandestin ou légal, fait courir au nouveau parc national de Guyane.

Désormais, par le biais à la mode du développement durable, tous les éléments sont en place pour rapprocher progressivement les parcs nationaux des parcs naturels régionaux, dont l’avantage, aux yeux des élus, est de ne pas comporter d’obligation légale de protection. Ce n’est pas un hasard si ces derniers sont déjà 45 sur le territoire français. Même imparfaits, les parcs nationaux ont réussi à organiser une protection de la faune et de la flore. Ainsi, sans eux, il n’y aurait plus de bouquetins ni de chamois. Et de nombreuses espèces de flore auraient disparu. Un résultat qui ne soulève pas la passion des élus territoriaux et les fait volontiers sourire : il suffit de décrypter les interventions de Christian Estrosi, président du conseil général des Alpes-Maritimes, où se trouve le parc national du Mercantour, pour s’en convaincre.

Progressivement voués au développement durable et local, les parcs nationaux ­risquent de glisser vers une banalisation de leurs territoires. D’ailleurs, les gardes moniteurs expliquent volontiers qu’ils n’ont pas été formés puis recrutés pour faire du développement mais pour organiser la protection sur l’infime portion de l’espace qu’ils représentent : moins de 1 % du territoire métropolitain français. Deux livres récents [^2]. montrent à quel point l’obsession du développement durable ( « poncif difficile à traduire dans les faits » ) peut se révéler dérisoire et nocive. Il faut espérer que, pour les 9 parcs nationaux français, dont seulement 6 se trouvent sur le territoire métropolitain, et pour les 2 381 répertoriés dans le monde, dont 329 en Europe, ce développement dit durable ne devienne pas la seule justification de leur existence. Avec ce que cela suppose d’équipements ­touristiques lourds, dans les parcs ou alentour, avec les « vues sur le parc ».
La confidentialité dans laquelle va se dérouler la transformation des parcs nationaux français vise essentiellement à éviter que les protecteurs de la nature et leurs associations ne s’intéressent trop aux mutations induites par la loi de 2006, qui vise clairement à se passer d’une concertation avec les scientifiques en mettant en avant une « obligation de résultats » pour ces lieux voués à la préservation de la biodiversité. Actuellement, des groupes de pression manœuvrent pour amoindrir la protection de la nature. Ce qui permet de se demander si, dans une dizaine d’années, il existera encore en France des parcs nationaux voués à la préservation des espèces. Le danger n’est d’ailleurs pas seulement français, surtout s’il s’agit d’une astuce destinée à organiser une meilleure acceptation sociale de ces parcs, dont les pouvoirs publics n’expliquent plus à quel point ils ont été utiles à ce qui reste de la biodiversité.

[^2]: L’Après-Développement durable, publié sous la direction d’Antoine Da Lage, et les Parcs nationaux dans le monde, sous la direction de Stéphane Héritier et Lionel Laslaz, Ellipses

Écologie
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