Une version allemande du néolibéralisme

« L’ordolibéralisme » va permettre à la concurrence de s’exercer « de façon libre et non faussée ».

Denis Sieffert  • 29 janvier 2009 abonné·es

La construction européenne a été placée dès l’origine sous le signe de l’ordolibéralisme. Le mot revient souvent sous la plume de Dardot et Laval. Il s’agit en réalité de la version allemande du néolibéralisme. Ses concepteurs sont trois économistes allemands très en vue à partir des années 1930, Walter Eucken, Wilhelm Röpke et Alfred Müller-Armack. Selon leur théorie, l’État a pour mission de créer un cadre institutionnel pour l’économie. Il doit assurer la libre concurrence. Au centre des institutions « ordonnées », figure évidemment la Banque centrale. Une Banque centrale indépendante de tout gouvernement et dont la mission est de lutter contre l’inflation pour assurer la stabilité de la monnaie. On parle donc « d’ordolibéralisme » parce que l’État a pour tâche initiale d’ordonnancer la politique qui va permettre à la concurrence de s’exercer de façon « libre et non faussée », comme il était écrit dans le traité constitutionnel rejeté par les électeurs français en mai 2005. Et comme il est suggéré dans le traité de Lisbonne que la plupart des dirigeants actuels de l’Europe, Nicolas Sarkozy en tête, tentent d’imposer à toute l’Union européenne. D’une certaine façon, le mot « ordolibéralisme », dérivé de l’allemand, rend mieux compte de la réalité de la théorie néolibérale que « néolibéralisme ». Il rappelle étymologiquement que le « néolibéralisme » résulte avant tout d’un « ordre politique ». Il est, avant tout, une politique, et non pas le produit d’une économie qui serait dictée par la nature.
Les auteurs analysent en outre les raisons pour lesquelles l’Allemagne était en quelque sorte prédisposée à développer cette théorie qui est ensuite devenue l’idéologie quasi officielle de la construction européenne : « La critique ordolibérale du nazisme fait de ce dernier l’aboutissement naturel et la vérité de l’économie planifiée et dirigée. » « Loin de constituer une “monstruosité” ou un “corps étranger”, le nazisme a été, [pour les néolibéraux allemands], comme le révélateur d’une sorte d’invariant unissant nécessairement certains éléments entre eux : économie protégée, économie d’assistance, économie planifiée, économie dirigée. » Ainsi, pour Wilhelm Röpke, l’économie planifiée n’est rien d’autre qu’une « économie de commando » . Comme le stalinisme ailleurs, le nazisme aurait définitivement délégitimé toute intervention de l’État qui n’ait pour but de libérer la concurrence.

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