Chavez président à vie, vraiment ?

La presse française fait en permanence un mauvais procès au Président, à l’instar de la droite vénézuélienne. Correspondance, Johanna Lévy.

Johanna Lévy  • 26 février 2009 abonné·es

Petit matin sur Caracas. Les tambours résonnent dans les ruelles en pente de La Barraca, quartier populaire que ses habitants ont bâti sur les hauteurs de la capitale vénézuélienne. Après une nuit passée à dépouiller les bulletins de vote sous le regard attentif des testigos de mesa (témoins), La Barraca fête l’élection des voceros, les porte-parole de son conseil communal. Les habitants pourront désormais définir et gérer eux-mêmes les projets qu’ils considèrent comme prioritaires pour l’amélioration de leurs conditions de vie [^2]. « Il a fallu que le quartier fasse preuve de persévérance pour en arriver là », raconte Agrippina. Modeste commerçante, membre de la commission électorale, elle rayonne : « Le principal, c’est qu’on y soit arrivés ! Le pouvoir populaire, ça ne se décrète pas, ça se construit avec le temps. »

Illustration - Chavez président à vie, vraiment ?

Hugo Chavez connaît une popularité exceptionnelle pour un président au pouvoir depuis dix ans. Ho/AFP

C’est ce temps qui vient d’être accordé à Hugo Chavez. Le 15 février, 54 % des électeurs ont approuvé la proposition d’amendement constitutionnel présentée par l’Assemblée nationale ( enmienda ). Désormais, tout élu (maire, gouverneur, député, président) pourra être librement candidat à sa réélection. Le Venezuela adopte ainsi le fonctionnement de la majorité des pays européens, où les chefs d’État ou de gouvernement peuvent se succéder à eux-mêmes autant de fois qu’ils remportent les élections. Des régimes qui ne sont pas pour autant considérés comme dictatoriaux ou autoritaires. C’est pourtant ce soupçon qui pèse sur le gouvernement bolivarien. « Non à l’élection indéfinie », « non au castro-communisme » : ses opposants ont employé toute leur énergie à dénoncer la menace d’un Chavez « président à vie » et donc « dictateur ». Une rengaine répétée à l’envi par les médias. Aurait-on oublié si vite les modalités de notre Ve République ?

C’est aller vite en besogne dans un pays comme le Venezuela, où la Constitution a été élaborée par une assemblée constituante et approuvée par consultation populaire, et reconnaît de nombreux dispositifs de démocratie directe, tels le référendum révocatoire, rendu possible à l’encontre de tout élu à mi-mandat, ou la consultation populaire obligatoire pour toute modification du texte constitutionnel. Après sept élections d’envergure nationale et cinq consultations référendaires, les Vénézuéliens n’ont jamais autant participé à la vie politique qu’au cours de ces dix ans.

« C’est la première fois dans l’histoire du pays qu’on nous demande notre avis pour modifier la constitution : quelle dictature ! » , ironise Luis, élu contrôleur de la gestion du conseil communal. « Ce qui est sûr, c’est que, pour l’opposition, la meilleure chance de battre Chavez en 2012, c’est encore qu’il ne soit pas candidat… »
Au-delà de l’enmienda, le problème de fond réside effectivement dans la popularité du chef de l’État. D’après un sondage de l’Ivad, un institut peu suspect de sympathie pour le gouvernement, 66,5 % des personnes évaluaient positivement en janvier dernier la gestion de leur président. Une performance pour un chef d’État au pouvoir depuis dix ans. Mais aussi le résultat du nouveau modèle démocratique proposé et des politiques sociales menées par son gouvernement, les populaires « missions ». Confortées par la hausse des prix du pétrole, les dépenses sociales n’ont cessé d’augmenter, jusqu’à atteindre 44 % des dépenses de l’État en 2006. Constituant un levier économique (14 % du PIB aujourd’hui), ces politiques ont eu un impact considérable sur les indicateurs sociaux du pays. En réduisant la pauvreté générale de la population de 30 %, la pauvreté extrême passant de 20,3 % en 1998 à 9,5 % en 2007, le Venezuela fait partie depuis 2007 des pays à indice élevé de développement humain.
En dépit de ces avancées, l’échec du référendum sur la modification globale de la Constitution proposée par Chavez en 2007 a prouvé qu’il n’était pas invincible. Rendez-vous en 2012.

[^2]: Créée en 2006, cette nouvelle instance de participation réunit l’ensemble des organisations populaires d’un secteur et inclut une banque communale chargée de gérer les fonds attribués pour l’exécution des projets définis par les habitants. Il en existe plus de 26 000 aujourd’hui.

Monde
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