L’hyperprésidence en plein naufrage

Le chef de l’État dégringole dans les sondages tandis que le chômage augmente de façon dramatique. L’impopularité de Nicolas Sarkozy est à son comble, y compris à droite.

Michel Soudais  • 5 mars 2009 abonné·es

L’état de crise fait oublier l’état de grâce. Depuis un mois, les sondages se suivent et se ressemblent. La cote de confiance de Nicolas Sarkozy dégringole aussi vite que le chômage augmente. Parallèlement, les enquêtes d’opinion enregistrent une aspiration à un changement de politique et un soutien de la population aux revendications syndicales qui peut être massif : 78 % des sondés (67 % des sympathisants de droite) estiment justifiées les manifestations en Guadeloupe [[Sondage BVA-Orange-L’Express-France Inter, réalisé
les 20 et 21 février.]].

Pourtant, le chef de l’État ne s’implique pas moins qu’avant. Comme au début de son quinquennat, il multiplie déplacements, interventions et annonces. Et décide de tout, y compris des listes européennes de l’UMP. Mais le charme, si tant est que l’on puisse utiliser ce mot, est rompu. Le « roi de la com’ » a perdu la main. Quand il intervient à la télé, il ne convainc plus, incapable qu’il est d’endiguer les critiques qui pleuvent de toutes parts. Contre une politique économique qui, pour la gauche et les syndicats, a oublié la consommation mais, pour le Medef, fait la part trop belle au social. Contre son intervention tardive dans la crise en Guadeloupe. Ou encore la nomination contestée de son collaborateur François Pérol à la tête du groupe Banque populaire/Caisse d’épargne…

Bien installé dans l’impopularité, Nicolas Sarkozy n’en continue pas moins à afficher une foi inébranlable dans sa méthode. Malgré les mauvaises nouvelles qui s’accumulent et alternent avec les prévisions les plus sombres. 90 200 chômeurs de plus au cours du seul mois de janvier : ce record mensuel présage un accroissement du nombre de demandeurs d’emploi en 2009 plus important que les 280 000 prévus par l’Unedic. D’autant que les plans sociaux annoncés quotidiennement n’ont pas encore produit leurs effets. Déjà le gouvernement révise ses prévisions pour l’année : la croissance, tout juste positive dans le projet de budget (+ 0,3 %), sera franchement négative (-1,5 %) ; conséquence de cette moindre activité, le déficit budgétaire devrait flirter avec les 5 % du PIB et avoisiner 100 milliards d’euros…

Cette dégradation économique et sociale justifierait la mise en œuvre d’un plan de relance d’ampleur en faveur de l’emploi, mais il y a peu de chance que le président de la République s’y résigne.
Nicolas Sarkozy vit désormais enfermé à l’Élysée. Quand il en sort, il ne se déplace plus sans une solide escorte. Autant pour se prémunir des manifestants que pour contrôler son image. Le 19 février, 700 gendarmes, CRS, hommes du Raid et du GIPN assuraient sa sécurité à Daumeray, un paisible bourg du Maine-et-Loire de… 1 600 âmes. Au Salon de l’agriculture, deux cordons de gardes du corps l’encadraient, assurant le filtrage des personnes autorisées à approcher l’auguste visiteur, journalistes compris, tandis que dans les allées garnies de militants UMP convoqués pour faire la claque, des agents de sécurité élyséens écartaient les importuns. Le 26 février, même déploiement surdimensionné pour la visite d’une usine de Plastic Omnium dans l’Ain : barrages de gendarmerie 10 km autour du site ; une seule caméra, celle de TF 1, autorisée à filmer dans l’entreprise ; et des délégués syndicaux mécontents de n’avoir pu échanger un mot avec Nicolas Sarkozy.

Ainsi coupé des réalités, il est, selon son entourage, serein face à l’adversité. « Depuis le début de la crise, nous n’avons pas fait une seule erreur » , se félicite-t-on d’ailleurs à l’Élysée. Où, contre toute évidence, on se persuade que « le sommet social a apaisé les manifestations et [que] le calme est revenu en Guadeloupe ». Au « château » comme à l’UMP, on explique la chute dans les sondages comme un effet de la crise. On rappelle aussi que sa popularité avait déjà chuté l’an dernier. Avant de remonter avec la présidence française de l’Union européenne.
Mais si, l’an dernier, les Français reprochaient amèrement au Président sa période « bling-bling » tandis que les classes populaires manifestaient leur première déception sur le pouvoir d’achat, la rechute est plus profonde. Selon le directeur de l’institut TNS-Sofres, Brice Teinturier, la crise met à bas tout le socle idéologique sur lequel le candidat de droite s’était fait élire (moins d’État, moins d’impôts, plus de travail, plus de revenu). Une réalité que Nicolas Sarkozy refuse d’admettre. Mieux, il s’obstine à vouloir « accélérer les réformes » . Jusqu’à quand ?

Pour l’heure, le chef de l’État conserve le soutien de l’UMP. Xavier Bertrand, le ­nouveau secrétaire général qu’il a mis en place, a fait de « l’anticonservatisme » son credo : « Dans la tempête, répète-t-il, il faut protéger le navire et l’équipage, mais pas jeter l’ancre. » Le député de l’Aisne, qui n’a pas dû souvent naviguer, oublie qu’il faut aussi savoir changer de cap pour éviter un naufrage.

Au sein de la droite, de plus en plus de voix le réclament, qui pointent les dangers de la « méthode » Sarkozy. « Par temps calme, les défauts du président ont été acceptés comme une contrepartie de son volontarisme, estime le député UMP Hervé Mariton, mais dans la tempête, ils ont plus de mal à passer. » L’élu villepiniste, qui lui reproche « le suremballage médiatique de ses annonces » et un « manque de respect des corps intermédiaires », n’est plus isolé. Plusieurs ministres et conseillers confiaient la semaine dernière au Monde (28 février), sous le secret du off, que la concentration de tous les pouvoirs à l’Élysée avait montré ses limites. Mais qu’il est exclu d’en parler avec l’hyperprésident. Le blocage est au cœur du pouvoir.

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