Dans mon trois-pièces copines

Face à la crise, à la flambée des loyers et à l’évolution des cycles de vie, la colocation séduit une part grandissante de la population. Sans limite d’âge.

Mathilde Azerot  • 9 avril 2009 abonné·es

Le film de Cédric Klapisch, l’Auberge espagnole , l’avait érigée en modèle de vie festif pour étudiants ou bandes de potes. La colocation : un truc de jeunes. Mais les temps changent. La flambée du prix des loyers depuis une décennie, le manque de logements sociaux, l’actuelle crise économique, sans oublier des données d’ordre structurel, semblent réserver de beaux jours à ce mode de vie collectif. Phénomène durable ou conjoncturel ?
« La colocation apparaît comme un mode de vie tout à fait adapté aux situations de rupture » , avance Nina Testut, sociologue, auteur d’études sur ce sujet en 1998 et en 2003. Avec la précarisation accrue du marché du travail et, notamment, la banalisation des CDD, la colocation devient pour de nombreux jeunes actifs l’unique moyen de se loger hors du foyer parental. «  Dans ce contexte, la colocation peut devenir un levier d’insertion pour ces jeunes précarisés » , poursuit la sociologue. Plus encore, vivre en colocation à 30 ou 40 ans est de plus en plus fréquent. « L’allongement de la jeunesse, c’est-à-dire de la période entre la décohabitation parentale et la construction de son propre foyer, l’augmentation du nombre de divorces, des familles monoparentales et des veuvages dus à l’allongement de la durée de vie sont des raisons structurelles qui laissent à penser que la colocation est en voie de se développer » , estime Nina Testut.

Première catégorie fragilisée par les difficultés économiques : les familles monoparentales. Résidentes des grandes villes, elles sont le plus durement frappées par la pénurie de logements et la hausse incessante des loyers. Le choix de la colocation est alors guidé par la contrainte. En attestent les dizaines d’annonces sur le site colocation-monoparentale.fr. « Le premier motif est évidemment d’ordre financier, observe Anne-Marie Philippe, créatrice du site en 2008, mais il y a aussi la volonté de ne pas se retrouver seul(e) dans la monoparentalité. » Nathalie Guellier, à l’origine du site parent-solo.fr, traitant des problématiques auxquelles sont confrontées ces familles, reste dubitative quant au développement de ce mode de vie : « Nous n’avons pas encore de retour sur le fonctionnement réel ni assez de recul. »

Autre formule : la colocation (ou cohabitation) intergénérationnelle, où des personnes âgées accueillent chez elles, pour une somme modique, des étudiants. Un toit contre une présence. Depuis deux ans, les associations fleurissent (Parisolidaire, association ESDES à Lyon, Cohabit’âge à Toulouse, etc.). Mais gare aux dérives. Ces associations de solidarité, souvent subventionnées par les collectivités, ont tendance à être prises pour ce qu’elles ne sont pas : une alternative à la mise en place de véritables politiques publiques. « Cela pose des problèmes, estime Sophie Nemoz, sociologue. Certaines situations re­lèvent du droit du travail, et ­l’étudiant ne doit pas se transformer en aide médicale. La cohabitation ne peut être une solution miracle à deux problèmes différents. »
Et la problématique de l’autonomie des personnes âgées est une question cruciale. Face à une prise en charge inadéquate et, plus encore, à une mauvaise appréhension des enjeux, les actions privées se multiplient. L’association la Trame, créée en 2003 à la suite de la canicule et dédiée à « la prévention des risques individuels liés à la solitude » , a inauguré en 2007 le dispositif « Cocon 3S »  (pour « solidaires », « seniors », « solos »). Avec pour ambition de proposer aux plus de 60 ans de partager une maison pour un loyer moyen de 300 euros. « C’est une réponse à l’isolement et aux petites retraites, affirme Christiane Beaumelle, sa présidente, elle-même retraitée. Beaucoup de femmes d’artisans me contactent. Elles ont travaillé toute leur vie auprès de leur mari, mais n’ont pas été déclarées. Une fois seules, elles se retrouvent avec une faible pension. Beaucoup de femmes sont déclassées par le divorce ou le veuvage. »

Si le concept en est à ses balbutiements, plus de six cents personnes ont déjà contacté Christiane Beaumelle, et des « cocons » ont vu le jour en Île-de-France et dans la région bordelaise. Un nouveau site (partage-senior.net) devrait être bientôt opérationnel, avec la même préoccupation : lutter contre la solitude des plus âgés.
Ces nouvelles figures de la colocation sont-elles représentatives ou restent-elles des cas isolés ? Côté chiffres, on estime qu’entre 6 % et 10 % des locataires sont des colocataires. Mais les données sont rares, et il est difficile de mesurer l’évolution du mouvement. Dans une note de 2008, la CAF de Paris souligne que la colocation est un « phénomène [qui] dépasse la frontière de la population étudiante » , dans des proportions toutefois nettement plus faibles – 16 % contre 4 %. Deux fois plus que la moyenne nationale, dans une ville où la pénurie est la plus forte et les loyers les plus chers. Mais Nina Testut précise qu’ « un phénomène peut être statistiquement marginal à un moment précis, mais concerner un grand nombre de personnes à différents moments de leur vie » . Et dans le cas de la colocation, beaucoup plus tard qu’on ne le pense.

Société
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