« Il n’y a rien à gagner à aider les Roms »
Issu de la famille Bouglione, Alexandre Romanès a créé un cirque qui porte son nom. Militant de la culture tzigane, il rappelle combien discriminations et précarité font partie du quotidien rom.
dans l’hebdo N° 1049 Acheter ce numéro
Politis : Expulsions, d’une part,
aides financières, d’autre part, pour inciter les Roms à quitter
la France. Quel regard portez-vous sur ces politiques ?
Alexandre Romanès : À la chute du mur de Berlin, les gouvernements européens auraient dû anticiper les difficultés qu’engendrerait l’entrée des États d’Europe de l’Est dans la CEE. Mais l’Europe n’a rien fait pour améliorer les conditions de vie dans ces pays, peut-être par mépris. Renvoyer les gens dans des pays où ils meurent de faim n’est pas la solution. Il faut créer les conditions pour que les Roms ne viennent pas ici, en dégageant des moyens pour améliorer leur situation à l’Est. Ces immigrés préféreraient rester dans leur pays d’origine. Mais ils connaissent là-bas une grande misère.
La vie en France est-elle plus facile ?
La situation financière est meilleure. Certaines personnes croient que les Roms sont riches car ils possèdent de grosses voitures et de belles caravanes, mais ils n’ont rien d’autre, et beaucoup ont recours au crédit auprès d’organismes ne prêtant qu’à eux.
Comment jugez-vous les conditions de vie sur les terrains ?
L’instauration de ces terrains ne me paraît pas être une bonne mesure. Neuf fois sur dix, ils se situent entre l’autoroute et la décharge publique, sans eau ni électricité. Nos enfants pensent donc qu’on nous méprise. À cause du manque de places, certains refusent de quitter leur emplacement de peur de ne pas en retrouver un. Cela pousse à notre sédentarisation : ne plus voyager, c’est la mort pour beaucoup.
Est-ce le signe d’une mauvaise volonté des politiques ?
Je parle souvent avec les élus. Ils voudraient agir, mais se demandent toujours comment ils seront réélus s’ils nous tendent la main. Il n’y a rien à gagner à aider les Roms. Cela dit, le racisme est moins virulent qu’avant. Au début du XXe siècle, quand la troupe de mon père, le Cirque Bouglione, passait dans les villages, on lui jetait des pierres. Aujourd’hui, les gens sont plus méfiants que méprisants. Pour notre part, la notoriété du cirque Romanès nous met à l’abri de certaines discriminations. Mais je continue de peindre nos caravanes en vert pour nous fondre dans le paysage. Cela ne nous empêche pas, parfois, de recevoir une pierre sur l’une d’entre elles ! La situation est plus dramatique en Italie, où l’été dernier nous avons participé à deux festivals. Personne ne sortait du camp par peur d’être agressé. Tous les jours, aux informations, un sujet était consacré aux Roms, avec un parti pris violent contre nous.
La situation peut-elle s’améliorer ?
Seul le cœur des hommes peut changer la situation. Aujourd’hui, la société française a décidé d’abandonner les pauvres. Les gens dans leurs campements misérables ne comptent pas.
Est-ce la raison pour laquelle vous vous investissez dans plusieurs projets ?
Je cherche à promouvoir la culture tzigane, cette culture de la survie. Je n’attends plus qu’un emplacement définitif à Paris pour installer une programmation pérenne, avec un centre sur la culture rom, qui prendra la forme d’un chapiteau où se dérouleront des spectacles, des conférences… Je vais publier dans quelques mois un troisième livre, Lapidaire, des scénarios de films et de pièces de théâtre sont rédigés. Tous évoquent la vie tsigane. C’est une manière de lutter contre les préjugés.