La malédiction des Arabes chrétiens

Dans « la Tuerie d’Ehden », Richard Labévière revient sur un épisode de la guerre interchrétienne au Liban.

Denis Sieffert  • 25 juin 2009 abonné·es

Dans la fureur et le fracas de la guerre civile libanaise (1975-1988), avec son lot de massacres, la tourmente des alliances et des coalitions qui se font et se défont, les guerres dans la guerre, l’intervention de la Syrie, et celle d’Israël, qui se souvient de cette nuit du 13 juin 1978 ? Que pèsent les morts de cette tuerie commise dans un village du Nord-Liban ? Les suppliciés d’Ehden ont disparu des récits sommaires et des mémoires occidentales. Pourtant, les événements que nous relate dans son dernier livre Richard Labévière, avec la précision et le style d’un auteur de roman policier, n’ont pas cessé d’avoir des conséquences sur le Liban d’aujourd’hui. Au cours de cette « nuit des longs couteaux » version libanaise, un homme est abattu, et avec lui sa femme et leur fille de 3 ans, dans une débauche de violence ; et avec eux des proches, le chauffeur, et vingt-huit villageois. Tout un clan décimé.

L’homme, c’est Tony Frangié, héritier d’une grande famille d’Arabes chrétiens. Les assaillants, au cœur de la nuit, équipés d’armes lourdes livrées par Israël, ce sont les Kataëb, les phalangistes de Béchir Gémayel. Le chef du commando, c’est Samir Geagea. Toujours là, trente et un ans après les faits. Accessoirement, Labévière nous permet de comprendre comment des phalangistes inspirés par un admirateur de Hitler et de Mussolini, Pierre Gémayel, père de Béchir, ont été honorablement recyclés par les Occidentaux, parés d’une vertu cardinale : ils sont « anti-Syriens », ou si l’on préfère, pro-Israéliens.

Mais, le livre de Richard Labévière retrace surtout l’histoire de cette fracture, profonde et continue, au sein de la communauté chrétienne libanaise, entre ceux que l’on définit par leur appartenance ethnique et religieuse – « les Arabes chrétiens » – et ceux qui se définissent politiquement : les phalangistes. Tony Frangié était la figure emblématique des premiers. Son fils, Sleimane, a repris le flambeau, avec le général Aoun, allié aujourd’hui au Hezbollah.

Comme toujours, par sa parfaite connaissance du labyrinthe politique libanais, Richard Labévière nous permet de reconsidérer la grille de lecture la plus communément admise dans la presse occidentale.

Idées
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