Poétique de l’âpreté

Dans le dédale
d’une ancienne usine,
en Alsace, Alberto Bali expose ses dernières peintures.
Une empoignade de force
et d’élégance.

Jean-Claude Renard  • 2 juillet 2009 abonné·es

Quelques années en arrière. Alberto Bali se cogne l’abstraction de la ville. Des paysages urbains, avec leurs poids de façades, des successions d’immeubles qui retombent en cascade, des pans entiers de bâtiments, bouts de-ci, bouts de-là, piqués de fe­nêtres, de cheminées, de terrasses à peine distinctes. Des compositions gouvernées par la verticalité. Murs et enceintes se reflétant, aux aguets des structures, embrassant les jeux de poutres, apprivoisant les ombres, dans un entrelacs de barres d’acier ou de béton.
Le credo chez Bali est celui de l’évidence. Cette évidence d’architecte, du premier coup d’œil, qui traque l’imposture, balaye la fioriture, rase sec, ventile. Peintre flingueur de l’esbroufe pour une toile au motif cru. Du clair et net. Une bonne fois pour toutes, qui dit un parcours.

Argentin débarqué à Londres en 1971, réalisant alors son premier recueil d’estampes au bord de la Tamise, avant de s’installer à Paris, poursuivant la peinture, taquinant la sculpture et la gravure. Parallèlement aux travaux sur lin, Alberto Bali redessine l’intérieur de grands restaurants, auxquels il applique son goût pour les lignes pures (le Carré des feuillants, à Paris, notamment), dessine également chaises et dessertes, cartes et menus. Aux créations récréatives s’ajoutent des logos, des badges. D’un exercice à l’autre, reste une constance : la rigueur des évidences.

Les paysages urbains, rassemblés sous le titre de Ciudades , ornent une poignée d’espaces dans cette ancienne usine alsacienne, à trois encablures de Colmar, gigantesque, au diapason de l’œuvre. Une poignée seulement parce que la part belle est faite aux dernières créations d’Alberto Bali, Construcciones. Pur jus, première bourre, qui semble plonger dans les Ciudades pour en extirper le détail. Des espaces faussement clos où la matière respire encore. Sans glousser pour autant dans un intérieur âpre, tiré au cordeau, comme un costaud sorti des Halles, en transe de verticales, d’horizontales, la diagonale en goguette menée à la baguette par un féru de perspectives.
Les Falaises de marbre (3,5 m sur 12 m), époustouflant poème en prose sur lin, en donne la mesure, trempée de précision, diabolique, bousculant les repères symétriques. Exemple parmi d’autres. Et autant de toiles où Alberto Bali gomme, martyrise les effets de manches, les superflus. Pour livrer une peinture brute, émotive, dépouillée. Construite. Froide et chauffée à blanc. Collée aux structures. À regarder de près ou de loin, qui laisse sans mot.

Culture
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