Contrôles de police : la tête coupable

Une récente enquête du CNRS a démontré l’existence à Paris de contrôles d’identité
au faciès. Pourtant, le débat autour de cette question n’a pas eu lieu.

Margaux Girard  • 27 août 2009 abonné·es

«Nous ne sommes pas racistes » , martèlent les syndicats de police lorsqu’on les interroge sur la récente enquête du CNRS dénonçant les contrôles au faciès dans Paris [^2].). Le rapport, rendu public avant l’été et financé par l’Open Society Institute (la fondation américaine du milliardaire George Soros), prouve qu’à Paris les « Arabes » et les « Noirs » ont respectivement 7,8 fois et 6 fois plus de risques d’être contrôlés que les « Blancs ». Or, si la presse a largement relayé l’enquête, le débat public autour de la question a été escamoté. «  Nous sommes sûrement l’administration française qui a le mieux réussi la mixité sociale » , se défend Yannick Danio, porte-parole de l’Union syndicale majoritaire. Traduction : la présence d’immigrés au sein de la police interdirait de fait toute accusation de « profilage racial ». Autre critique souvent avancée par les forces de l’ordre : le financement « étrange » de l’enquête par une fondation américaine. « Ils [les Américains] feraient bien de balayer devant leur porte avant d’aller voir chez les autres, peste un policier, c’est pire chez eux. »

Restent ces chiffres, alarmants, qu’il faut expliquer. « Ces statistiques ne sont pas objectives. Les observations se sont déroulées dans des hauts lieux de rassemblement de bandes, là où, forcément, il y a plus de contrôles », avance Xavier Bounine, du syndicat Alliance. Les enquêteurs se sont en effet limités à cinq zones d’observation : trois à la gare du Nord et deux à Châtelet-les-Halles. « Autour des stations RER, on trouve beaucoup de personnes issues des banlieues et souvent d’origine étrangère » , poursuit le syndicaliste. Ces chiffres ne seraient donc pas représentatifs. « Nous n’avions pas vocation à enquêter sur les contrôles d’identité en France, ni même en Île-de-France, répond Fabien Jobart, un des deux auteurs de l’étude. Nous voulions montrer ce qui se passe dans cinq lieux parisiens où les contrôles sont systématiques. »
*
Sur ces lieux, les chiffres ont parlé. Certains policiers reconnaissent les faits et tentent de les justifier. Les statistiques tirées de l’étude ne les surprennent pas : *« Notre mission n’est pas de faire des relevés représentatifs de la population. On doit cibler la délinquance dans des lieux criminogènes, et la gare du Nord et Châtelet-les-Halles en font partie,
explique Marie Lajus, porte-parole de la préfecture de police de Paris. P our cela, on utilise des paramètres empiriques, notre connaissance des phénomènes criminels. » Jany Cardon, secrétaire national de l’Unsa Police, est plus explicite : « C’est malheureux à dire, mais les infractions sont plus souvent commises par les populations issues des banlieues. » Le raccourci entre l’origine des personnes et les comportements délinquants est au cœur du débat. Or, parmi les 525 contrôles d’identité observés par les deux chercheurs, très peu faisaient suite à une infraction manifeste. Leur rapport conclut que ces contrôles se fondent principalement sur l’apparence. Non pas sur ce que les gens font, mais sur ce qu’ils sont ou paraissent être.

Selon Yannick Danio, ces pratiques illégales sont dictées par la hiérarchie. On ne demanderait pas seulement aux policiers de cibler les délinquants potentiels mais aussi « les signes d’extranéité » . Un terme obscur pour désigner tout ce qui est ou semble étranger. « Ces consignes viennent notamment du ministère de l’Immigration, dans le cadre de sa lutte contre l’immigration clandestine. Nous, on ne fait qu’appliquer », ajoute le représentant syndical. La responsabilité est renvoyée sur le gouvernement, les policiers n’étant que de simples pions au service de sa politique sécuritaire. « Ce qui me choque, c’est que ces directives sont formulées verbalement, jamais par écrit. Il faut qu’ils assument », estime Yannick Danio.

En juin 2008, France 3 a pourtant mis la main sur une note de service affichée dans certains commissariats de l’Ouest parisien. Cette note ordonnait la « priorité aux contrôles d’identité des étrangers » , notamment les Bosniaques et les Roumains.

Comment envisager l’arrêt du profilage racial si les autorités, secrètement, l’encouragent ? Le silence du ministère de l’Intérieur après la publication de l’enquête n’est pas passé inaperçu. La place Beauvau a préféré laisser à la préfecture de police de Paris le soin de commenter les chiffres, et aucune mesure concrète n’a été proposée. C’est tout juste si une des 14 recommandations du rapport adoubées par le Syndicat de la magistrature a retenu l’attention de la préfecture. Celle qui exige que les policiers expliquent les raisons du contrôle aux personnes concernées : « On va travailler sur cette piste, mais rien n’est encore fait », annonce sans convaincre Marie Lajus. Maigre bilan pour cette enquête, la première en France à quantifier les contrôles au faciès. Seul un membre du gouvernement s’est prononcé sur l’étude : Christian Estrosi, ministre de l’Industrie et maire UMP de Nice. « Il n’est pas exact d’affirmer que les jeunes seraient d’abord contrôlés par la police selon leur faciès, Noir ou Arabe, comme l’a indiqué une récente enquête.  […] Seulement 3 % des personnes qui sont interpellées et contrôlées s’en plaignent, et 82 % de personnes ne se plaignent pas du tout d’être contrôlées. » Ce n’est pas tout à fait ce que dit le rapport. D’après les chercheurs, 3 % des personnes contrôlées ont jugé avoir subi un traitement raciste ou insultant de la part des fonctionnaires, et 82 % estiment que le comportement des policiers était neutre ou poli. Cela ne veut pas dire que ces contrôles ne dérangent pas les individus concernés.

L’« erreur » d’interprétation du mi­nistre n’est pas anodine. Fin juin, il proposait aux députés son projet de loi anti-bandes. Un texte vivement critiqué par la gauche, qui risque d’encourager ce genre de pratiques. « De manière courante, à près de 80 %, la police est capable de démontrer l’intention de nuire en bande » , avance le ministre pour défendre son projet de loi. De fait, les interventions se baseront davantage sur des soupçons plutôt que sur des constats d’infraction. Déjà approuvé par l’Assemblée nationale, le texte sera examiné par le Sénat en septembre. Dans ce contexte, l’idée d’interdire les contrôles au faciès ressemble fort à un vœu pieux.

[^2]: L’enquête « Police et minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris » a été réalisée entre octobre 2007 et mai 2008. Open Society Institute, Fabien Jobard et René Lévy (CNRS

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