Rima Hassan : « Je veux garder espoir »

La juriste franco-palestinienne, qui figure en septième position sur la liste La France insoumise aux européennes, est depuis quelques semaines omniprésente sur la scène médiatique. Souvent à son corps défendant. Dans un entretien accordé à Politis, elle se livre à un plaidoyer pour le droit et la démocratie.

Denis Sieffert  • 23 avril 2024 libéré
Rima Hassan : « Je veux garder espoir »
"Je ne confonds pas les Israéliens avec le gouvernement israélien."
© Maxime Sirvins

Rima Hassan est l’un des nouveaux visages de La France insoumise. Née le 28 avril 1992 dans le camp de réfugiés palestiniens de Neirab, en Syrie, elle arrive en France à l’âge de 10 ans et obtient la nationalité française le 6 octobre 2010. Titulaire d’un master en droit international, militante de la cause palestinienne, candidate LFI aux élections européennes de juin prochain, elle aspire à porter la voix du droit international au Parlement européen.

Les Français vous découvrent depuis que vous êtes sur la liste LFI des européennes. C’est-à-dire depuis peu. Quelle est votre histoire ? Quelle est l’histoire de votre famille ?

Rima Hassan : Je suis née dans le camp palestinien de Neirab, près d’Alep, en Syrie. Mon grand-père maternel, d’origine palestinienne, avait été contraint à l’exil pendant la Nakba, à la création d’Israël en 1948. Ma grand-mère maternelle était issue d’une famille de notables syriens, les Hananou. Le mariage avec un réfugié palestinien n’avait pas été bien accueilli dans la famille syrienne. Il avait fait cette promesse : « Je la prends princesse, et elle vivra comme une princesse. » En réalité, leur vie s’est déroulée dans un camp de réfugiés. Je suis arrivée à l’âge de 10 ans en France, où j’ai fait ma scolarité, puis j’ai poursuivi des études de droit au Liban et à Paris. En 2019, j’ai créé l’Observatoire des camps de réfugiés, qui documente les camps à travers le monde.

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Depuis que vous êtes dans la lumière, vous prenez des coups sur la scène médiatique. On vous dit à tout bout de champ « controversée », sans trop que l’on sache ce que cela veut dire. Et voilà que vous êtes convoquée par l’antiterrorisme pour « apologie du terrorisme ». Savez-vous à quelle déclaration cette accusation fait référence ? Et comment vivez-vous cette situation ?

Je la vis de façon sereine. Ce qu’on me reproche, ce sont des posts sur les réseaux sociaux entre novembre et décembre dernier. Mais il n’y a aucune saisine du procureur. Et je suis convoquée sur la seule base de plaintes de lobbyistes pro-israéliens connus pour être très proches de Netanyahou.

En tant que juriste, quelle est la mission que vous vous assignez ?

La vérité, c’est qu’Israël est malade de son colonialisme.

J’ai fait des études de droit par passion. J’ai travaillé sur la qualification de crimes d’apartheid, qui reposent sur la dichotomie juifs/non-juifs aux fins de nettoyage ethnique. L’apartheid est une doctrine fondamentalement raciste, qui va jusqu’à l’animalisation des Palestiniens, traités de cafards ou de sauterelles. L’apartheid est la conséquence directe du colonialisme. La vérité, c’est qu’Israël est malade de son colonialisme.

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Comment vous définissez-vous par rapport à la question coloniale et au sionisme ?

Je n’aime pas me définir comme antisioniste parce qu’on ne sait pas de quel sionisme on parle. Le sionisme a deux dimensions. L’une structurelle, nationale, à laquelle je ne m’oppose pas. La deuxième est coloniale. Et Israël doit rompre avec sa dimension coloniale qui aboutit à déshumaniser les Palestiniens. Le projet colonial fait disparaître tous les Palestiniens en tant que sujets politiques. Les événements actuels s’inscrivent dans une projection politique de la Nakba de 1948, dont l’objectif était de faire disparaître les Palestiniens. Tant qu’Israël ne guérira pas de son colonialisme, il n’y aura pas d’issue, les Palestiniens seront dépossédés ou massacrés, et les Israéliens ne seront pas en sécurité.

Rima Hassan
« J’essaie d’être toujours souriante et optimiste. Je n’ai pas le choix. Souriante, mais sévère et en colère. Je suis née en colère. » (Photo : Maxime Sirvins.)

On a l’impression que vous êtes beaucoup plus modérée que l’image que donnent de vous certains médias. Avez-vous pondéré votre discours récemment ?

Non, j’ai toujours le même discours. J’essaie d’être toujours souriante et optimiste. Je n’ai pas le choix. Souriante, mais sévère et en colère. Je suis née en colère. Je me regarde dans l’histoire de ma famille enterrée dans un camp. Mais je veux garder espoir. J’ai fait des études de droit pour structurer ma pensée et ma colère. La colère, pour moi, n’est pas l’aigreur. Elle peut être saine. Et je m’efforce de tenir compte du vécu européen par rapport à la Shoah. Je ne confonds pas Israël avec les juifs. Et je ne confonds pas les Israéliens avec le gouvernement israélien.

Je ne confonds pas les Israéliens avec le gouvernement israélien.

On vous a accusée de ne pas être claire à propos du Hamas. Comment qualifiez-vous ce mouvement ?

Je suis fatiguée de commenter la paresse intellectuelle de prétendus experts. Le Hamas est un mouvement religieux structuré autour d’une branche politique, et qui a développé une branche armée dont le mode opératoire est le terrorisme. M’accuser de soutenir le Hamas, c’est mal me connaître. Je suis née dans une famille communiste. Par ailleurs, posons-nous la question : qui a soutenu le Hamas ? On a très bien documenté le soutien du gouvernement israélien au Hamas. Bezalel Smotrich [ministre des Finances, et leader extrémiste des colons, N.D.L.R.] et même Benyamin Netanyahou ont expliqué pourquoi il fallait le soutenir et le faire financer pour briser les organisations ouvertes à la négociation. Le journal israélien Haaretz l’a révélé. Il y a donc beaucoup d’ironie à accuser tel ou tel de soutenir le Hamas.

ZOOM : Rima Hassan en quelques dates

2019 Elle fonde l’ONG Observatoire des camps de réfugiés.

2023 Le magazine Forbes la liste parmi les 40 femmes d’exception qui ont marqué l’année et fait rayonner la France à l’international.

16 mars 2024 Désignée candidate aux élections européennes, en 7e position de la liste LFI, conduite par Manon Aubry.

30 avril 2024 Convoquée par la police pour « apologie du terrorisme », elle dénonce une vaste « campagne d’intimidation ».

La situation aujourd’hui est désespérante avec le massacre de Gaza et les raids des colons en Cisjordanie. Puisque vous parlez d’espoir, interrogeons-nous sur l’avenir. Et il n’y a pas d’avenir sans un nouveau leadership palestinien. Comment abordez-vous la question de la représentation palestinienne ? Ou, pour poser la question différemment, croyez-vous que le Hamas représente les Palestiniens ?

Ce n’est pas à moi de dire aux Palestiniens de quels représentants ils doivent se doter. Je suis évidemment pour des élections qui renouvellent l’Autorité palestinienne. Mais pour répondre directement à votre question, je ne crois pas qu’un mouvement religieux puisse représenter les Palestiniens. Il faut qu’ils soient représentés dans leur diversité, laïque, au sens premier du terme. L’ironie de l’histoire, c’est que les dirigeants palestiniens progressistes, comme Marwan Barghouti, sont en prison, alors que le Hamas négocie au Caire et signe des accords. La vérité, c’est qu’Israël ne veut pas d’interlocuteurs progressistes. Le gouvernement israélien ne veut pas la paix.

On vous a beaucoup reproché de parler d’un État binational. C’est d’ailleurs la fameuse carte abolissant les limites entre Israël et les Territoires palestiniens qui a, dit-on, provoqué l’interdiction des conférences qui devaient se tenir à Lille. Qu’est-ce que l’État binational, pour vous ?

La colonisation, d’une certaine façon, replace l’État binational dans l’actualité.

Encore une fois, ce n’est pas à moi non plus de définir la forme que doit prendre l’État palestinien. Je ne pose pas le problème en ces termes. Il faut bien comprendre que j’appartiens à une nouvelle génération. Nous avons un prisme qui est celui de l’égalité des droits. Je crois en la démocratie. La forme de l’État vient après. Les Palestiniens demandent à être comme nous. Ils veulent s’inscrire dans le monde, comme n’importe quel autre peuple. C’est une lutte universelle. D’ailleurs, je dois préciser qu’une fois qu’ils auront leur État, quelle qu’en soit la forme, ils seront face à des sujets palestino-palestiniens. Mon problème est celui du droit et de la démocratie en général.

« Ma souffrance, c’est l’exil et la dépossession, qui est la même pour tous les peuples qui connaissent cette situation. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Je n’ai pas envie d’être essentialisée à partir de la seule question palestinienne. La question de la démocratie se pose aux Israéliens, au-delà même de la question palestinienne. Je regarde cet État se définir, et définir son sionisme. Des mobilisations massives ont lieu contre Netanyahou, mais dans le même temps des sondages montrent que 80 % de la population est pour une offensive contre Rafah. Israël est dans la contradiction et en face d’un dilemme. Entre être un État juif et être un État démocratique, il lui faudra choisir. S’il est exclusivement juif, il ne peut pas être démocratique.

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La loi de juillet 2018 a officiellement retiré la référence à la démocratie. La question est donc de plus en plus actuelle, à mesure que la colonisation envahit la Cisjordanie et Jérusalem-Est, et que la solution à deux États devient de plus en plus impraticable. C’est la question de l’égalité des droits entre juifs et Palestiniens, musulmans ou chrétiens, qui se pose. C’est la colonisation qui, d’une certaine façon, replace l’État binational dans l’actualité.

Depuis le retrait de cette grande dame qu’est Leïla Shahid, la voix palestinienne est devenue inaudible dans l’espace public. Certains médias parlent à la place des Palestiniens en les assimilant grossièrement au Hamas. Ce qui correspond à la stratégie israélienne. Quelle place comptez-vous occuper dans ce paysage ?

Je suis française depuis l’âge de 18 ans. C’est la France qui m’a donné ma citoyenneté. Je ne veux pas prétendre parler pour les Palestiniens. Mais faire entendre une voix dans l’espace public, c’est précisément ce que je fais en me présentant aux européennes.

Justement, vous avez choisi d’être sur la liste de La France insoumise. Ne craignez-vous pas d’être marquée par cet engagement, voire instrumentalisée ?

Les Écologistes m’avaient proposé de venir sur leur liste, mais en position non éligible. Avec LFI, je peux espérer défendre directement mes dossiers sur la scène européenne. Et il ne s’agit pas seulement de la question palestinienne. Ma souffrance, c’est l’exil et la dépossession, qui est la même pour tous les peuples qui connaissent cette situation. D’autres sont menacés de génocide. J’ai par exemple soutenu les travaux de Raphaël Glucksmann sur le génocide des Ouïgours. Fort heureusement, on ne lui a jamais dit que ce n’était pas un enjeu européen.

« J’aime les conférences, la pédagogie. Je ne suis donc pas dans le même registre que de nombreux hommes et femmes politiques. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Or la question palestinienne est mille fois plus européenne que celle des Ouïgours. L’Europe est donc le cadre pertinent pour mener ces combats. Ce sont les États européens qui signent un accord d’association avec Israël. Certains d’entre eux arment Israël. Ils sont impliqués dans les territoires palestiniens, devenant complices de la colonisation. Si je vais au Parlement européen, c’est pour dire le droit, les droits humains. Dans le même esprit, je travaille aussi sur le sort des sans-abri. Sur tous ces sujets, je mobilise surtout mes compétences juridiques.

Votre proximité avec LFI ne risque-t-elle pas de vous gêner ?

Je ne vais pas prendre en charge tous les passifs de LFI.

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Dans le meeting improvisé de Lille, on a tout de même noté une différence de ton entre vous et Jean-Luc Mélenchon. Vous veniez de dire que votre résilience, c’est le sourire, et on a entendu Mélenchon comparer le président d’université de Lille à Adolf Eichmann, et le socialiste Jérôme Guedj, bien qu’il ne fût pas nommé, à un délateur collabo. Cela faisait un fort contraste…

Moi, je ne changerai pas mon discours. Je ne suis pas à l’aise aux tribunes des meetings improvisés. J’aime poser mes mots. J’aime les conférences, la pédagogie. Je ne suis donc pas dans le même registre que de nombreux hommes et femmes politiques.

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