Sexisme, homophobie : la face cachée du lycée du futur directeur de Stanislas

L’établissement privé sous contrat Marcq Institution, dirigé par le futur directeur de Stanislas, figure parmi les meilleurs des Hauts-de-France. Mais derrière cette réussite se cache un univers sexiste et homophobe. La direction ne dément pas nos informations mais assure que « le bien-être [des] élèves constitue la première de [ses] priorités ».

Pierre Jequier-Zalc  • 12 février 2024
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Sexisme, homophobie : la face cachée du lycée du futur directeur de Stanislas
© Montage : Maxime Sirvins

« L’école privée est au rendez-vous de ses obligations en matière pédagogique et du respect des valeurs de la République. » Face aux parlementaires, lors de ses dernières questions au gouvernement en tant que ministre de l’Éducation nationale, mardi 6 février, Amélie Oudéa-Castéra signe et persiste. « Et tout particulièrement sur la laïcité et le respect de la mixité sociale et scolaire », poursuit-elle, alors toujours embourbée dans des polémiques liées à l’enseignement privé, depuis les révélations par Mediapart de la scolarisation de ses enfants dans le très select et conservateur lycée Stanislas, à Paris.

ZOOM : Marcq Institution, élitisme et entre-soi

Ce lycée privée est une véritable institution dans les Hauts-de-France. En septembre 2023, nos confrères de Médiacités réalisaient une enquête décrivant un bastion de l’élite locale. « 80 % des élèves y sont issus d’un milieu social très favorisé », écrit par exemple le journal d’investigation local, qui liste les grandes familles nordistes ayant étudié dans l’établissement de Marcq-en-Barœul. « Les petits‐enfants de Gérard Mulliez, fondateur du groupe Auchan, sont nombreux à avoir fait leurs classes sur le vaste campus de Marcq‐en‐Barœul. Il en est de même des membres des familles Lesaffre, Bonduelle, ou encore Motte ». Dans cet article, on apprend aussi que Florian Philippot, ancien numéro 2 du Front national, y a été formé.

Ce dernier changera de directeur à la rentrée prochaine après le départ à la retraite de Frédéric Gautier. Il sera remplacé par Igor Le Diagon, ancien directeur des classes préparatoires à Stanislas et directeur, depuis 2015, de Marcq Institution, un établissement privé sous contrat à Marcq-en-Barœul, cossue banlieue lilloise, dans les Hauts-de-France. Politis révèle que durant la période où celui-ci a dirigé le « Stan lillois », les conditions de scolarité de cet établissement privé ont été marquées par de nombreux faits sexistes et des discours apparaissant en contradiction avec « la laïcité » et les « valeurs de la République ».

« Aviez-vous bu de l’alcool ? Comment étiez-vous habillée ? »

« Quand j’ai appris qu’il allait devenir le directeur de Stanislas, j’ai trouvé ça révoltant. Igor Le Diagon n’a rien fait pour plusieurs affaires, extrêmement graves, qui se sont déroulées à Marcq Institution. Pire, il les a cachées ! » Lucie* a encore les larmes aux yeux quand elle raconte les années qu’elle a passées dans ce lycée privé sous contrat des Hauts-de-France.

*

Tous les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.

La jeune femme, qui a quitté Marcq Institution en 2019, ne digère pas la nomination de son ancien directeur à Stanislas. Elle se souvient comme si c’était hier de l’unique rendez-vous qu’elle a eu avec Igor Le Diagon. La semaine précédente, elle avait dénoncé auprès de son prof principal une agression sexuelle par un autre élève de l’établissement. Sans réaction après cette première plainte, elle avait poussé auprès de l’administration pour être reçue par le directeur. « On avait créé un petit collectif de jeunes femmes parce qu’on s’était rendu compte qu’on n’avait jamais eu aucune forme de prévention sur les violences sexistes et sexuelles » (VSS), raconte Lucie. L’objectif de ce rendez-vous est donc double : dénoncer son agression et discuter de la mise en place d’actions de prévention sur les VSS.

C’est de l’humiliation pure et un crachat sur ma parole.

Lucie

Un but qui se heurte à un mur. « Les premières questions qu’il me pose sont caricaturales : “Aviez-vous bu de l’alcool ? Comment étiez-vous habillée ?” C’était le cliché ultime, j’étais sous le choc », souffle la jeune femme. Selon elle, aucun accompagnement ni aucune mesure n’aurait été proposé par la direction de l’établissement à ce moment-là. « Il m’a juste dit d’aller voir un psy », raille-t-elle. Une affirmation que confirme Myriam, une de ses meilleures amies. « Je n’ai jamais vu Lucie aussi mal de toute ma vie. Elle a eu le courage d’aller chercher de l’aide auprès de l’institution, en ayant même la force de proposer des choses, et on l’a envoyée balader. Ça m’a brisé le cœur. »

La seule réponse de l’institution intervient l’après-midi lorsqu’une membre de la direction appelle les parents de Lucie – qui n’étaient pas au courant de cette agression – pour les prévenir et leur conseiller d’emmener leur fille voir un psychologue. « Celui que j’accusais, en revanche, l’établissement n’a pas appelé ses parents. Alors que j’avais toutes les preuves, les captures d’écran des messages, etc. C’est de l’humiliation pure et un crachat sur ma parole », rage Lucie.

Un revenge porn de grande ampleur

Iria* se souvient aussi de la non-prise en compte de sa parole. Cette jeune femme a été victime, alors qu’elle était en seconde, d’un revenge porn de grande ampleur, ignoré par l’institution. Ce délit, punissable de deux ans d’emprisonnement et de plusieurs dizaines de milliers d’euros d’amende, consiste à relayer dans la sphère publique des photos ou vidéos intimes à caractère privé.

Ainsi, alors qu’elle avait 15 ans, Iria a vu des photos d’elle – envoyées à son petit copain de l’époque –, être abondamment partagées dans des conversations rassemblant des dizaines de personnes sur les réseaux sociaux. Selon les captures d’écran de l’époque consultées par Politis, un professeur de Marcq Institution avait même été ajouté à une de ces discussions. « Ça a duré un petit moment », se remémore Iria, « mes photos étaient partagées dans l’établissement et en dehors. Des garçons se les vendaient entre eux. J’étais tétanisée, je ne voulais rien faire, je n’ai pas prévenu le lycée, j’avais l’impression que c’était de ma faute, que j’étais une pute. »

J’avais l’impression que c’était de ma faute, que j’étais une pute. 

Iria

Au vu de l’ampleur de la diffusion de ces images, la direction finit néanmoins par l’apprendre. Sa réaction est la même que pour Lucie : un simple coup de fil aux parents d’Iria. Elle n’est jamais reçue, ni prise en charge d’une quelconque manière. « Cela a juste confirmé mon sentiment de me dire que c’était mon problème, que je l’avais bien cherché », souffle la jeune femme.

Un climat ambiant sexiste

Interrogé par Politis sur ces cas précis (voir notre encadré Zoom « Derrière cette enquête » à la fin de cet article), Marcq Institution, par la voix d’Igor Le Diagon, préfère ne pas entrer dans les détails. « Attachés au respect de la vie privée de nos élèves et de nos enseignants, nous préférons ne pas rentrer dans les détails de certains récits privés ou intimes que vous nous partagez », nous répond, par écrit, le directeur de l’établissement. Et il ajoute : « Le bien-être de nos élèves constitue la première de nos priorités. Nous agissons toujours au service de leur épanouissement et prenons très au sérieux tous les faits qui pourraient nous être rapportés. Cela signifie que nous ne restons jamais sans agir lorsqu’une situation vient fragiliser de quelque manière la vie de l’élève à l’école. » Sans apporter, toutefois, plus de précisions.

Sur le même sujet : À l’École normale supérieure, une accusation de viol, une commission et des questions

Pourtant, les nombreux témoignages recueillis par Politis, notamment ceux de jeunes femmes, vont tous dans le même sens : celui d’un climat ambiant particulièrement sexiste. Chaque ancienne élève interrogée a son anecdote. « J’étais en troisième. J’avais mis un trait d’eye-liner sur mes yeux. La professeure de SVT m’a sortie du cours pour que j’aille me faire démaquiller à l’infirmerie. Elle m’a affirmé que je “déconcentrais” les garçons », raconte ainsi Louise*, qui poursuit : « J’étais toute jeune. Je l’ai vécu comme une profonde humiliation. Je pleurais en me démaquillant. Je me disais que j’étais une pétasse ».

C’est toujours la même idée : ne pas exciter les garçons.

Marion

Même type d’histoire pour Marion*, 22 ans aujourd’hui. « Il devait faire 30-35 degrés et j’avais mis un débardeur. On m’a forcée à porter une blouse de TP toute la journée pour pas qu’on voie mes épaules », explique la jeune femme. « Derrière, c’est toujours la même idée : ne pas exciter les garçons. »

Humiliée après s’être rasé les cheveux

Un contrôle des corps féminins permanent que Zoé a particulièrement vécu. Un jour, en terminale, cette élève décide de se raser les cheveux. En cours d’histoire-géographie, le professeur lui demande d’aller voir les deux conseillères principales d’éducation (CPE). Une fois dans le bureau, Zoé s’assoit face aux responsables, qui restent debout face à elle. « Et là, c’est parti en attaque verbale sur attaque verbale : “T’as encore provoqué tout le monde, t’en as pas marre ?” “T’es contente, tout le monde te regarde” », narre la jeune femme, qui essaie alors, tant bien que mal, d’argumenter : « J’ai plein d’amis qui se sont aussi rasé la tête ! » « Les garçons, ce n’est pas pareil », lui rétorque-t-on, sèchement.

Vite, la discussion prend une tournure que Zoé qualifie aujourd’hui de « profondément humiliante ». Les deux responsables l’accusent en effet d’insulter toutes les victimes de cancer par ce geste. Une accusation particulièrement douloureuse pour la lycéenne, qui a perdu sa mère d’un cancer à l’âge de 4 ans. « La première suit ma scolarité depuis que je suis en sixième, la deuxième depuis que je suis en seconde. Forcément, elles étaient au courant », souffle-t-elle, les larmes aux yeux, quatre ans après les faits.

Mais les deux CPE ne s’arrêtent pas là. « L’autre argument avancé était que je manquais de respect aux juifs car on rasait la tête des femmes dans les camps », confie Zoé. L’élève est renvoyée chez elle, en pleurs, jusqu’à « ce qu’elle trouve une solution ». Pendant deux mois, Zoé met donc une perruque ou un bonnet pour se rendre en cours. Interrogé sur ce cas, comme sur le contrôle des tenues, notamment féminines, l’établissement n’a pas répondu.

À Marcq Institution, les femmes ne sont pas grand-chose. J’étais sexualisée en permanence, comme un objet qu’on utilise.

Iria

Pour de nombreuses camarades de la jeune femme, cet exemple, presque caricatural, montre comment ce contrôle des femmes est volontairement et consciemment institué par l’établissement, notamment depuis l’arrivée à sa tête d’Igor le Diagon. « Il a clairement resserré la vis quand il est arrivé. Ça n’avait plus rien à voir, c’était beaucoup plus strict, beaucoup plus ferme, notamment sur le contrôle des tenues », assure Iria.

Selon plusieurs témoignages, les contrôles de la longueur des jupes se sont particulièrement accrus après son arrivée. Un temps, la mise en place d’un uniforme a aussi été évoqué, sans que cela aboutisse. Iria poursuit : « À Marcq Institution, les femmes ne sont pas grand-chose. J’étais sexualisée en permanence, comme un objet qu’on utilise. Cette idée-là, ces valeurs-là sont consolidées par le lycée ».

Pour appuyer son propos, la jeune femme cite par exemple des cours de catéchisme – obligatoire à Marcq de la sixième à la terminale, une pratique illégale – auxquels elle a assisté. En effet, selon de nombreux témoignages concordants, racontant précisément les mêmes faits et les mêmes phrases, des discours sexistes, homophobes ou anti-avortement ont pu être tenus dans ces cours qui se déroulent, parfois, en non-mixité.

«  Si vous avortez, vous irez en enfer »

Plusieurs jeunes femmes témoignent par exemple toutes de faits similaires : ainsi, un vieil enseignant leur explique, lors d’un cours en 2019 en non-mixité féminine, que « l’avortement est un pêché ». Avant d’ajouter : «  Si vous avortez, vous irez en enfer ». « On lui avait alors posé une question sur les VSS. Il nous avait répondu que ça s’était toujours passé comme cela entre les hommes et les femmes, et donc que les femmes d’aujourd’hui exagéraient », racontent Lucie et Louise.

Les deux jeunes femmes assurent avoir fait remonter ces propos au responsable du catéchisme qui leur aurait répondu « ne rien pouvoir faire » et qu’il fallait « remettre en contexte la parole de cet intervenant qui était âgé ». Outrée de cette inaction, Louise décide alors d’en parler à son professeur principal. Mais la réaction n’est guère meilleure. « Oui, la loi a légalisé l’avortement, mais personnellement ça me dégoûte », aurait-il répondu, laissant l’élève abasourdie.

Ces situations ont toujours cours. Selon Léa*, sortie de Marcq en juin dernier, toute son année de première a été marquée par de nombreux discours misogynes en cours de « caté ». « On n’était que des filles. Il nous a expliqué que la femme devait servir à combler le désir de l’homme et qu’elle ne servait qu’à ça. Qu’on devait être, pour les garçons, des objets sexuels. Cela m’a profondément choquée. Et toute l’année, ce type de discours a été tenu », raconte la jeune femme. 

La vidéo m’a fait intérioriser cette vision homophobe.

William

Selon nos informations, des discours homophobes ont également pu être tenus lors  des cours de catéchisme. Quatre personnes différentes témoignent toutes de la même version. Dans une vidéo, visiblement assez ancienne, montrée en cours de catéchisme, un prêtre explique que les garçons homosexuels seraient des gens n’ayant jamais atteint la maturité adulte, étant restés à l’âge de l’enfance où l’on est ami avec des gens du même sexe que le sien.

« À l’époque, j’étais en troisième, je n’étais pas éduqué sur ces questions-là. Cette vidéo m’a fait intérioriser cette vision homophobe. Ça n’est que des années plus tard que j’ai pu construire une tolérance et découvrir tout ce pan de la vie [homosexuelle, NDLR] que je ne connaissais pas », raconte William*, sorti de l’établissement en 2020.

Plusieurs autres élèves nous ont raconté des événements similaires. Comme Sophie*, qui se souvient d’un cours de catéchisme l’ayant profondément marquée. « C’était un intervenant d’une cinquantaine d’années. Il nous a expliqué que l’Église faisait beaucoup d’efforts pour se moderniser. Mais que des choses comme l’avortement ou le mariage homosexuel, c’était quand même “pousser le bouchon trop loin” ».

Interrogé sur la tenue de ces discours en cours de catéchisme, l’établissement ne dément pas les faits mais assure qu’il « favorise les échanges respectueux et veut permettre à chacun de grandir mais n’impose pas un modèle à suivre ou à croire. Notre approche éducative défend des valeurs d’équité et de respect des convictions de chaque élève, que celles-ci soient religieuses, philosophiques, sociologiques, personnelles, sexuelles ou politiques ».

« Violeur, prédateur sexuel » : un responsable pédagogique épinglé

Malgré tout, plusieurs élèves vivent mal ces situations. Au point que, fin 2021, un compte Instagram est créé : « ChangeforMarcqInstitution ». Son but : compiler anonymement des témoignages de personnes ayant été témoins ou victimes de comportements sexistes, homophobes ou dégradants. « On a décidé de créer ce compte pour dénoncer ce climat permanent. Je pense que c’était clairement un ras-le-bol », glisse celle à l’origine de l’initiative, qui préfère rester anonyme. Vite, les témoignages s’accumulent. « Un professeur m’a dit que j’étais bonne. Il regarde beaucoup le décolleté et quand on va au tableau, il nous menace de nous frapper les fesses avec la grande règle », écrit, par exemple, une jeune femme.

Ce professeur, responsable pédagogique à Marcq Institution, plusieurs femmes le dénoncent aussi à Politis. « Un jour, j’étais en seconde, il m’a demandé de venir au tableau. Il s’est alors placé derrière moi et m’a tenu les hanches pour montrer comment il fallait se tenir. Il était très très proche, je sens encore ses mains entre mon bas du dos et mes fesses. J’avais trouvé ça extrêmement déplacé », raconte Nora*, sortie de l’institution en 2022.

Un graffiti dans les locaux de Marcq Institution, la semaine dernière, accusant un professeur de l’établissement.

« Un jour, on était un petit groupe de filles. Il marchait derrière nous dans un couloir. Il nous a fait comprendre que si on n’avançait pas plus vite il nous mettrait une main au cul », confie, Lilia*, de la même année que Nora. Responsable pédagogique de niveau, cet enseignant est toujours au sein de l’établissement, malgré les alertes de ce compte Instagram.

Interrogé pour savoir si une enquête avait été menée sur ces faits présumés et si d’éventuelles sanctions avaient été prises, Igor Le Diagon n’a pas répondu sur ce point. Selon nos informations – voir photo ci-contre – en fin de semaine dernière, un graffiti l’accusant d’être un « violeur », un « prédateur sexuel » et une « ordure » a même été retrouvé sur un mur de Marcq Institution.

Une pétition de plus de 300 signatures

Au vu de l’ampleur des témoignages, une pétition est lancée par le compte Instagram. « Élèves, parents, anciens de Marcq Institution, vous avez certainement choisi cet établissement pour sa bonne réputation ou ses bons résultats, mais saviez-vous que des élèves y subissent des remarques inappropriées, de la violence, voire des attouchements. […] Cela fait une bonne dizaine d’années que les élèves alertent la direction, sans aucune réaction de sa part », peut-on y lire. Plus de 300 signatures ont été à ce jour recueillies.

Ce message avait pour seul but de nous intimider.

Ce compte Instagram, de plus en plus suivi, met mal à l’aise la direction de l’établissement, qui prend alors attache via la messagerie privée du réseau social. « Cher élève, je vous écris en tant que responsable RGPD de Marcq Institution. […] Mon propos est de vous informer afin de vous éviter les conséquences des dérapages que vous risquez devoir assumer », peut-on lire sur les messages de l’époque consultés par Politis, avant d’ajouter : « Je ne suis pas certain que cette façon de procéder (anonymement) soit la meilleure manière de dialoguer avec les adultes de l’institution ».

En somme, selon la personne à l’initiative de ce compte, c’était une manière d’être menaçant, à demi-mot. « On ne diffamait pas, tous les noms étaient cachés pour ne pas qu’on puisse les identifier. Ce message avait pour seul but de nous intimider. » Une petite délégation d’élèves est finalement reçue à la veille des vacances d’été par Igor Le Diagon pour éteindre le début d’incendie.

Changement de règlement

« Au cours de ce rendez-vous, il n’a rien dit de choquant. Au contraire, il a écouté », se rappelle Roxane, qui faisait partie de cette petite délégation. « Le problème, c’est qu’il a fait des promesses qui n’ont simplement jamais été tenues », souffle-t-elle. À quelques jours de la fin de l’année, le directeur promet que les élèves seront invités à une réunion avec le corps éducatif pour parler de certains comportements. « Cette réunion n’a jamais eu lieu », assure Roxane, en terminale à l’époque, qui quitte donc l’établissement deux semaines plus tard. Sur ce point, Igor Le Diagon n’a ni démenti ni apporté de précision.

En revanche, une des revendications phares des élèves est prise en compte : la modification du règlement intérieur sur les tenues. Politis a pu comparer une ancienne et une nouvelle version de ce règlement qui font en effet état de modifications, toutefois assez marginales. Ainsi, par exemple, la mention interdisant les « jupes, robes, chemisiers ou pulls trop courts […] qui pourrai[en]t donner de la personne une image dégradante » n’existe plus dans une nouvelle version, qui mentionne seulement, sur ce point précis, l’interdiction des « fantaisies vestimentaires ainsi que toute tenue inappropriée pour un lieu dédié au travail ». Plus loin, une phrase a également été ajoutée : « Nous souhaitons que nos élèves puissent donner et avoir une bonne image d’eux-mêmes. Il leur revient donc […] de ne pas dévoiler trop facilement certaines parties de leurs corps » (sic).

Un climat qui donne du pouvoir aux hommes et qui cherche à contrôler les femmes.

Pour Léa, qui a vécu ce changement en tant que lycéenne, ce dernier était purement rédactionnel. Selon elle, dans les faits, le contrôle des tenues, notamment féminines, n’a pas baissé en intransigeance avec cette nouvelle écriture. « Marcq Institution, c’est vraiment un climat qui donne du pouvoir aux hommes et qui cherche à contrôler les femmes. On a l’impression que ça ne changera jamais », regrette la jeune femme.

Le féminisme, un sujet tabou

Plusieurs anciennes élèves, qui ont essayé de faire bouger ce statu quo, peuvent en témoigner. Lucie, par exemple, qui avait voulu monter un groupe de prévention sur les VSS, balayé par la direction. Ou encore Sophie, qui souhaite, en 2019, pour la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars, placarder une campagne de prévention sur la sexualité dans l’établissement. « J’ai été reçue par Igor Le Diagon pour expliquer mon initiative. Il a été très courtois, mais m’a fait comprendre que c’étaient des combats que je pourrais mener à la fac. Pas dans un établissement privé catholique », explique l’ancienne élève. Ou Nora : « Une amie à moi voulait distribuer des tracts pour l’association féministe NousToutes devant le lycée. On lui a interdit en lui intimant d’aller plus loin », glisse-t-elle.

Une manière, pour toutes ces jeunes femmes, d’être réduites au silence. Beaucoup d’entre elles nous confient avoir « fui » Lille et sa région après le bac. « J’ai fait une croix sur Lille et sur ce lycée quand je suis partie faire mes études. Je me suis enfin épanouie quand je suis arrivée à Paris », souffle Sophie. Paris, la future destination du directeur de Marcq Institution, dès la rentrée prochaine. Une chose est certaine, comme le suggère Lucie amèrement : « Le Diagon ne sera pas dépaysé à Stanislas. »

ZOOM : Derrière cette enquête

Cette enquête s’appuie sur quinze témoignages d’élèves – essentiellement féminines – de Marcq Institution, ayant étudié entre 2016 et 2023 au sein de ce lycée prestigieux. Ces témoignages s’accompagnent, au maximum, de preuves illustrant leur propos. Des messages, des photos de l’époque, des courriels nous ont ainsi été transmis. Lorsque cela n’était pas possible, nous avons corroboré les propos de chacune en interrogeant leurs proches ou d’éventuels témoins de la scène décrite.

Marcq Institution a été contacté une première fois le lundi 5 février pour solliciter un entretien avec la direction de l’établissement, et notamment le directeur, Igor Le Diagon. L’établissement nous a répondu en nous demandant de leur faire parvenir nos questions et de leur accorder un délai de réponse. Le 6 février en fin d’après-midi, Politis leur a transmis une liste de questions détaillées sur l’ensemble des faits figurant dans cet article. Un délai de quatre jours a également été apporté, dans l’objectif d’obtenir les réponses les plus précises possibles.

Le lundi 12 février, Igor Le Diagon nous a répondu par écrit. Il ne dément aucun des faits rapportés ci-dessus et se refuse à commenter ce qu’il décrit comme des « récits privés ou intimes ». Vous trouverez l’intégralité de sa réponse ci-dessous :

« Nous avons lu avec attention vos courriers et l’ensemble des questions que vous nous avez adressées. 

Attachés au respect de la vie privée de nos élèves et de nos enseignants, nous préférons ne pas rentrer dans les détails de certains récits privés ou intimes que vous nous partagez.

Soyez assuré que le bien-être de nos élèves constitue la première de nos priorités. Nous agissons toujours au service de leur épanouissement et prenons très au sérieux tous les faits qui pourraient nous être rapportés. Cela signifie que nous ne restons jamais sans agir lorsqu’une situation vient fragiliser de quelque manière la vie de l’élève à l’école.

Que ce soient les questions liées aux réseaux sociaux ou aux difficultés des jeunes, de manière générale, nous pouvons vous dire que nous rencontrons à Marcq Institution les mêmes problématiques que de nombreux établissements scolaires publics ou privés en France.

Notre école favorise les échanges respectueux et veut permettre à chacun de grandir mais elle n’impose pas un modèle à suivre ou à croire. Notre approche éducative défend des valeurs d’équité et de respect des convictions de chaque élève, que celles-ci soient religieuses, philosophiques, sociologiques, personnelles, sexuelles ou politiques. »

 

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