Éclats et traumatismes sonores : les nouvelles grenades du maintien de l’ordre

INFO POLITIS. Les forces de l’ordre vont bientôt être dotées de nouvelles grenades, dont deux au rayon des « assourdissantes ». Leur intensité sonore est susceptible de provoquer de graves séquelles. De plus, certaines projetteraient des fragments vulnérants. Politis a mis la main sur des informations exclusives… et inquiétantes !

Maxime Sirvins  • 15 février 2024
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Éclats et traumatismes sonores : les nouvelles grenades du maintien de l’ordre
© Maxime Sirvins

Début novembre, Politis dévoilait en exclusivité le résultat de la dernière commande de grenades de l’État, pour plus de 78 millions d’euros, la plus importante depuis plus de dix ans. En y regardant de plus près, plusieurs de ces grenades de maintien de l’ordre sont encore inconnues.

Dix-huit millions d’euros de grenades assourdissantes

Au milieu de cet achat, on trouve des « grenades à main à effet sonore », le lot n°7. Apparues en 2022, ces armes, classées comme « matériel de guerre », produisent un très fort effet assourdissant. Deux entreprises vont se les partager, et c’est Rivolier qui en remporte la plus grande partie. L’entreprise importe des armes de maintien de l’ordre via sa branche « sécurité-défense ». Mais aucune information n’est disponible sur cette arme.

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Quelle est donc cette grenade, vendue pour plus de 12 millions d’euros ? Pour en savoir plus, Politis s’est rendu à Milipol, un salon professionnel consacré à la sécurité intérieure, à la mi-novembre 2023. Sur le grand stand de Rivolier, des dizaines de marques sont présentes pour représenter le catalogue de l’importateur. Dans une vitrine, deux fabricants de grenades de maintien de l’ordre sont présents. Defense Technology (États-Unis) et Condor (Brésil).

« C’est un modèle de chez Condor », révèle à Politis une source policière. Une information confirmée par des documents techniques que nous avons pu nous procurer auprès de forces de l’ordre. Il s’agit de la grenade GL-307. Sous ce nom, on retrouve bien une « grenade à effet sonore ». Sur la fiche technique du fabricant brésilien, le descriptif parle de lui-même. « La grenade à effet sonore GL-307 a été conçue pour produire un effet de souffle bruyant et un aveuglement intense dans les opérations de contrôle des émeutes. » Avec un pictogramme « Ne pas ramasser » inscrit dessus, elle explose au bout de 2,5 secondes.

Les grenades assourdissantes engendrent « un risque de traumatisme majeur » selon un spécialiste, consulté par Politis. (DR.)

« À ce niveau, les dommages sur l’audition sont irréversibles »

Son niveau sonore atteint des records dans l’arsenal français. Avec, jusqu’à 165 décibels à 10 mètres, elle surpasse le modèle actuel qui monte déjà à 160 dB. D’après BruitParif, l’observatoire du bruit en Île-de-France, « le seuil de douleur pour les oreilles est atteint à 120 décibels. À ce niveau, les dommages sur l’audition sont irréversibles. » Selon la documentation de Condor, à une distance de 2 mètres, l’intensité de la grenade de maintien de l’ordre atteint 175 dB.

À titre de comparaison, même si l’envergure est différente, l’explosion de l’usine chimique d’AZF en septembre 2001 à Toulouse a provoqué un pic sonore inférieur. Estimée à 170 dB, l’explosion a provoqué de graves séquelles auditives pour les victimes, d’après un article de La Dépêche. Près de la moitié des personnes résidant dans un rayon de 1,7 km se sont plaintes d’acouphènes et d’hyperacousie deux ans après. Selon Bruitparif, la différence entre les 120 dB du seuil de douleur et 170 dB se ressent « comme si le bruit était 30 fois plus fort ».

C’est un risque de traumatisme majeur

Un médecin ORL

Contacté, un médecin ORL et expert judiciaire, explique que « c’est un risque de traumatisme majeur ». Le danger est selon lui multiple : « L’intensité sonore peut créer des lésions de l’oreille interne. Soit transitoire avec des souffrances des cellules ciliées (cellules auditives sensorielles), soit au maximum, une destruction qui peut être définitive. » Pour l’oreille, les dégâts peuvent aller des acouphènes à « une perte d’audition plus ou moins importante. » Quand, pour conclure, on lui demande ce qu’il pense des 175 dB à deux mètres, le médecin répond simplement : « C’est chaud. »

Le site du Centre d’information technique du ministère de la Défense des États-Unis a publié en 2021 une étude publiée sur les risques de blessure auditive. Elle conclut que « la rupture de la membrane tympanique est une autre blessure importante du système auditif qui peut être causée par les grenades assourdissantes ». 

Le journal officiel du gouvernement de l’État de San Paulo indique que la GL-307 projette des éclats à plus de dix mètres. (DR.)

« Tous les échantillons projetaient des fragments »

Un document de l’académie militaire d’Agulhas Negras au Brésil informe que « la grenade doit être lancée pour exploser à une distance d’au moins 10 mètres » des personnes pour éviter les risques. Une utilisation qui semble peu compatible avec l’emploi de ce genre de grenade par les forces de l’ordre françaises. Souvent, elles les envoient aux pieds des manifestants, comme le 13 avril 2023 à Nantes par exemple ou encore le même jour à Paris.

Tous les échantillons projetaient des fragments à plus de 10 mètres.

Police brésilienne

Politis s’est aussi procuré les documents du résultat de marché auprès du ministère de l’Intérieur. Des informations y ont été occultées et certains documents non transmis. Mais, selon nos informations, lors de son analyse technique par le ministère, la GL-307 a réalisé un sans-faute. La grenade ne produirait pas d’éclats. Une information contredite par la police brésilienne.

Comme le révèle une enquête collaborative et transfrontalière d’Amérique latine, « Le business de la répression« , la grenade de maintien de l’ordre GL-307 produit des éclats. « Tous les échantillons projetaient des fragments à plus de 10 mètres du lieu de l’explosion, et le fragment de l’échantillon 3 a touché le visage du carabinier Rómulo pendant les tests, qui a dû être transporté à l’Hôpital de la Police militaire », explique le média en citant un rapport de la police brésilienne. Le document conclut : « L’accident du carabinier Rómulo a démontré que les fragments résultant de l’explosion de la grenade peuvent causer des blessures graves. »

« Pas une munition vraiment adaptée au maintien de l’ordre » 

Dans le journal officiel du gouvernement de l’État de San Paulo du 10 décembre 2020, un long chapitre explique que la société Condor demande un réexamen de cette grenade suite à de mauvais résultats. Lors de ces essais, plusieurs grenades ont, en plus d’exploser tardivement, projeté des fragments à plus de 42 mètres.

Du côté des forces de l’ordre françaises, l’acquisition de cette grenade de maintien de l’ordre étant très récente, les retours restent rares. « L’effet sonore est bien réel et percutant et l’effet lumineux est fort et même gênant pour les forces de l’ordre », explique une source à Politis. Ayant pu la tester, ce membre des forces de l’ordre enfonce le clou sur l’utilisation d’une telle grenade. « C’est sûrement une bonne munition pour des unités d’intervention spécialisée afin de la lancer dans un espace confiné avant d’y entrer, mais pas une munition vraiment adaptée au maintien de l’ordre. » 

Les documents envoyés par le ministère de l’Intérieur ont, en partie, été censurés. (DR.)

Encore des éclats vulnérants

Même si Rivolier rafle 80 % du lot, Alsetex, un des principaux producteurs français de grenades de maintien de l’ordre, remporte quand même une partie pour plus de 3 millions d’euros. Nous vous révélions en mars 2022 que les forces de l’ordre utilisent déjà ce modèle, la grenade ASSD. Si plusieurs entreprises se partagent le lot, c’est « afin de sécuriser les approvisionnements » d’après les documents consultés par Politis.

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Cette grenade est vendue par son fabricant comme avec une conception « destinée à éviter toute fragmentation ou projection vulnérante ». Pourtant, les informations consultées par Politis attestent l’inverse. Lors de l’appel d’offres, chaque grenade subit une évaluation technique. Cette notation s’effectue sur plusieurs points avec une exigence « impérative » ou « souhaitable ». Un de ces critères juge si la grenade projette des éclats vulnérants lors de son utilisation.

Selon les données obtenues par Politis, la grenade y obtient un zéro pointé. La grenade assourdissante d’Alsetex génère donc des fragments pouvant provoquer de graves blessures. Ce point, jugé seulement « souhaitable » pour le ministère de l’Intérieur, n’a pas été rédhibitoire. D’après les prix habituels de ce type de grenade, le gouvernement viendrait d’en commander plusieurs dizaines de milliers.

Comme nous l’expliquions, cette grenade d’Alsetex était déjà loin de susciter l’unanimité chez les forces de l’ordre. Lors de sa détonation, elle projette une pièce en plastique et métal, à très grande vitesse, de manière incontrôlée. Une information que l’on retrouve dans les documents de la Police nationale. « Le bouchon allumeur est, dans la plupart des cas, projeté à plusieurs dizaines de mètres. »

Encore une nouvelle grenade de maintien de l’ordre

Pour le lot n°6, on retrouve un autre modèle de grenade encore jamais utilisé : des « cartouches-grenades 40 millimètres à effet sonore ». Elles sont prévues pour être tirées avec le futur lance-grenade à double canon, révélé en exclusivité par Politis. Un lanceur de 40 mm qui équipe aussi le Centaure, nouveau blindé de la gendarmerie que nous présentions en octobre 2023. Aujourd’hui, les forces de l’ordre utilisent uniquement des grenades lacrymogènes avec ce calibre. Plus pour longtemps.

C’est Alsetex qui remporte ce lot pour 4,7 millions d’euros. Dans différents catalogues de l’entreprise que nous avons consultés, une seule grenade correspond aux caractéristiques techniques du lot n°6. On peut alors supposer qu’il s’agit de la GM2F. Elle provoque un effet sonore de 153 dB à 10 mètres, toujours au-dessus du seuil de douleur. Comme la grenade assourdissante et lacrymogène GM2L, elle est décrite comme étant « sans éclats ». Une affirmation, qui, pour la GM2L, a été contredite sur le terrain avec plusieurs personnes gravement blessées, voire mutilées par des pièces métalliques de la grenade.

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Avec cet achat de plus de 78 millions d’euros, le gouvernement s’équipe de douze grenades de maintien de l’ordre différentes. Quatre fumigènes, quatre lacrymogènes, trois assourdissantes et une assourdissante et lacrymogène. Plusieurs projettent des fragments pouvant gravement blesser. De quoi faire face à tout type de contestation.

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