Froidement cynique

Un groupe leader des produits surgelés pratique des méthodes de vente et une politique sociale bien peu éthiques.

Jean-Claude Renard  • 15 octobre 2009 abonné·es

Coups de fil matin et soir, parfois le samedi. Pour vendre des volets, des fenêtres, une cheminée… Quand on est déjà client d’une société, la sonnerie du téléphone est encore plus tenace. C’est le cas de Toupargel, un ­exemple parmi d’autres, dont le siège est en Rhônes-Alpes, qui propose la ­li­vraison à domicile de produits surgelés et d’épicerie, avec une trentaine d’agences de télévente en France. Une société qui rebondit sur cet engouement pour les achats de produits alimentaires à distance.

Suivant un catalogue renouvelé régulièrement, les télévendeurs, managés par des superviseurs, sont tenus de joindre les clients environ toutes les trois semaines pour les produits surgelés, une fois par semaine pour les produits frais. En principe, « ils conseillent, aident, proposent des nouveautés, des promotions » . En réalité, les télévendeurs sont soumis à des méthodes qui ne relèvent pas vraiment du conseil mais du harcèlement. Avec un seul mot d’ordre : vendre. Toute objection doit être contrée. Ne rien céder.
On attaque par les produits phares, on relance avec les promos du moment, on attise avec les « points de fidélité », on pigeonne avec « le fil rouge », un cadeau de pacotille (un lot d’assiettes, parfois un collier). Le congélateur est plein ? Pas de problème, Toupargel propose des produits frais ! Le client est très âgé et malade ? Argument imparable : ce n’est pas parce que vous êtes malade que vous ne mangez plus ! Réplique valable aussi pour celui qui est plongé dans les difficultés financières. Autre proposition alléchante : aujourd’hui, c’est 30 % de réduction sur les coquilles Saint-Jacques ! En omettant de dire le prix de base. 30 % de quoi ? À une cliente dont le fils est atteint d’un cancer de la bouche, confie un vendeur sous couvert d’anonymat, le superviseur souffle la réponse, qui ne souffre aucune contestation : « Nous avons des purées, madame, et c’est pas parce que votre fils est malade que vous ne mangerez plus ! » C’est logique, implacable.
Une dernière recommandation : ne pas communiquer le montant final de la commande. Des fois que le client reviendrait en arrière, entamerait une soustraction…

Contrôlé, le salarié est poussé à cette vente forcée, dont la journée commence par l’annonce collective des résultats de la veille. Des résultats scandés par des superviseurs calés dans le coaching, fixant, renouvelant les challenges du jour devant une équipe déjà épuisée mais qui doit faire plus, mieux encore. Les temps de pause sont minutés et décom­ptés des horaires, des cloisons séparent les employés, qui n’ont pas le droit de communiquer entre eux. La perspective des fêtes de fin d’année est une pression supplémentaire. Le samedi devenant alors jour d’embauche. À ces conditions de travail s’ajoutent des horaires contraignants : 9 h 15/13 h 30 puis 16 h 30/19 h 45. Pour 30 euros au-dessus du Smic. Et des primes suivant des performances commerciales. Mais, pour être « primable », il faut réussir sur tous les fronts du catalogue, avec des objectifs le plus souvent inaccessibles. Cadences infernales, éthique en berne : la société connaît un turn-over considérable, brasse des offres d’emploi sur son site Internet. Sans renoncer à ses méthodes. Comme beaucoup d’autres sociétés fondées sur la vente par téléphone.

Société
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