Quelle stratégie pour convaincre ?

Alors qu’une frange de la décroissance vient de créer un mouvement politique officiel, d’autres militants estiment que c’est à l’intérieur des partis existants qu’il faut mener bataille.

Patrick Piro  • 1 octobre 2009 abonné·es

Les « Objecteurs de croissance » : c’est l’intitulé que vient de se donner le mouvement politique né mi-septembre à Beaugency (Loiret). Ce n’est pas la première tentative de la mouvance de la décroissance. En 2002, la candidature présidentielle du paysan philosophe Pierre Rabhi avait fait émerger un mouvement de soutien. Mais il avortera en tant qu’outil politique. Puis, en 2006, se fonde le Parti pour la décroissance (PPLD) autour de militants de la région de Lyon. Il se définit comme un contre-pouvoir, sanctionnant d’exclusion tout membre qui participerait à un exécutif. Échec encore : le PPLD éclate, en proie à des conflits de personnes et de stratégie. Deux ans plus tard, il ne lui reste qu’une vingtaine d’adhérents sur les trois cents de départ, alors que ses principaux fondateurs « lyonnais » – Vincent Cheynet, Paul Ariès, Bruno Clémentin… – ont pris le large.

La présidentielle de 2007 verra deux occasions manquées pour la décroissance : alors que Pierre Rabhi a définitivement tourné le dos à la politique, Yves Cochet rate pour une poignée de voix l’investiture chez les Verts ; et José Bové ne porte pas clairement le flambeau, ce que Paul Ariès lui reprochera sans ménagement. Entre-temps est apparu le Mouvement des objecteurs de croissance (MOC), d’inspiration libertaire, recrutant des militants plus jeunes et plutôt en région parisienne.
C’est du rapprochement entre le PPLD moribond, le MOC et les altermondialistes du mouvement Reseda qu’est née à Beaugency ­l’Association des objecteurs de croissance (Adoc)
. « La fusion est effective… je pense ! », déclare prudemment Christian Sunt (MOC), secrétaire aux relations extérieures de l’Adoc. De fait, celle-ci s’est déjà testée lors des européennes de juin dernier, support d’Europe-Décroissance, qui a présenté des listes de témoignage dans six des huit « super­régions ». Sans moyens (il fallait imprimer son bulletin sur Internet), elles n’ont recueilli qu’entre 0,02 et 0,04 % des voix…
Un pas est franchi à Beaugency : l’Adoc, dont le porte-parole est Vincent Liegey (PPLD), devient un mouvement politique officiel, qui vise une participation aux élections régionales. « Pour autant, il ne s’agit pas d’une stratégie électorale, nous ne souhaitons pas intégrer des exécutifs, mais utiliser les scrutins comme des tribunes, précise Christian Sunt. Notre objectif est de développer un contre-pouvoir et des expériences alternatives sur le terrain pour remettre en question le système en crise. » L’Adoc est partie à la rencontre de « toutes les formations antiproductivistes à gauche », mais n’entend pas nouer d’alliances.
Cette émergence laisse dubitatifs les autres pôles de la décroissance (voir encadré). Y compris les groupes autonomes qui gravitent autour de plusieurs personnalités engagées en politique, mais adeptes d’une stratégie opposée. « Je ne crois guère à l’avenir de l’Adoc ; le temps qu’elle accède à la reconnaissance et à la maturité – au moins une décennie –, la crise aura précipité les choses, estime Yves Cochet, seule figure politique nationale à promouvoir ouvertement la décroissance. Je crois plus efficace de s’investir dans les autres partis et les institutions. » Il y a largement contribué chez les Verts, unique parti d’importance à avoir affiché une forme de reconnaissance de la décroissance. D’une formule très alambiquée, au congrès de Lille de décembre 2008, affirmant la nécessité d’une « décroissance sélective, démocratique et solidaire de l’empreinte écologique ». Yves Cochet représente aussi la tendance décroissantiste au sein d’Europe Écologie, avec le député européen Jean-Paul Besset, qui a proposé à l’Adoc de les rejoindre – en vain.

Même son de cloche au sein du « pôle lyonnais » – que Paul Ariès définit comme la « capitale de la décroissance politique » –, où Vincent Cheynet ne croit pas au choix de l’Adoc de se passer d’élus. « C’est une impasse que d’éviter la confrontation au pouvoir. Je ne vois pas comment on peut changer la société en méprisant les institutions. » Comme Paul Ariès ou la députée Martine Billard (ex-Verte), il s’est rapproché du Parti de gauche, qui a montré des signes d’intérêt notables pour la décroissance, notamment par l’entremise de sa secrétaire nationale chargée du combat ­écologique, Corinne Morel-Darleux. « Ces idées bousculent la gauche, notamment celle qui s’affiche antiproductiviste, analyse-t-elle. La bataille ne se mènera pas seulement contre le capitalisme, il faut revenir à la critique de nos besoins avant de définir comment produire. La décroissance questionne notre rapport à la consommation, au mythe de l’accumulation matérielle comme source d’épanouissement, à la croissance économique à tout prix. » Son parti défend ainsi le principe d’une « planification écologique » démocratique – « qui associerait par exemple les salariés de l’automobile à l’invention d’une reconversion de leur secteur ».

Pour Paul Ariès, le PG semble offrir un terreau propice au rapprochement – qu’il juge indispensable – entre antiproductivistes de gauche et écologistes antilibéraux. « Mais des questions importantes ne sont pas réglées, à mes yeux, expose-t-il. Oui à une planification, mais bien pour réguler, pas pour en revenir à une “croissance rouge”. De même, face à l’insécurisation de la société capitaliste, je ne me bats pas pour la défense du pouvoir d’achat, générateur de croissance, mais pour une extension de la sphère de la gratuité et l’instauration d’un revenu garanti pour tous. » L’attachement républicain du PG pose aussi un problème à la frange libertaire de la décroissance. Et il existe un désaccord patent entre le régionalisme des objecteurs de croissance, adeptes d’une relocalisation des activités économiques comme de la démocratie, et la préférence pour l’État-nation affichée par le PG. Sans parler du rapprochement de ce dernier avec un PC productiviste et pronucléaire.

Le NPA est également attentif au phénomène de la décroissance, « plus qu’on ne l’imagine, estime le sociologue Philippe Corcuff, l’une des personnalités passerelles entre les deux pôles [[Voir son analyse sur le site de la revue Contretemps (].], avec Raoul Marc Jennar ou Vincent Gay. Des objecteurs de croissance ont adhéré au NPA, ce n’était pas le cas avec la LCR, à ma connaissance ».
Les Lyonnais ont cependant échoué à obtenir une tête de liste « décroissance » aux européennes dans le Sud-Est. « Ni le Front de gauche ni le NPA n’ont voulu jouer le jeu, explique Paul Ariès. Nous poserons de nouveau la question pour les régionales et, si besoin, nous irons seuls à la bataille cette fois-ci. » Toujours à bonne distance de l’Adoc. En mars prochain, la décroissance pourrait bien faire plus de bruit qu’aux européennes.

Publié dans le dossier
Le bel avenir de la décroissance
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