Baby blues chez les tout-petits

Le gouvernement répond à la pénurie de places d’accueil pour la petite enfance par une politique de privatisation rampante.

Philippe Chibani-Jacquot  • 14 janvier 2010 abonné·es

Le premier « jardin d’éveil » avait à peine ouvert à Caussade, dans le Tarn-et-Garonne, à la rentrée scolaire 2009, que ce mode d’accueil des enfants de 2 à 3 ans se trouvait au cœur d’une polémique. Destiné à accueillir à terme 8 000 bambins, le dispositif fait partie d’un vaste plan de création de 200 000 places supplémentaires d’accueil de la petite enfance d’ici à 2012. Mais, dès l’annonce de leur création au printemps dernier, ces jardins d’éveil sont apparus comme un cheval de Troie gouvernemental participant à l’objectif de non-remplacement d’un enseignant sur deux partant à la retraite.

« Derrière cette mesure, il y a la volonté de supprimer un peu plus de postes en école maternelle » , estime en effet Renaud Bousquet, secrétaire général adjoint du syndicat d’instituteurs Snuipp-FSU. La scolarisation dès 2 ans n’a plus les faveurs du gouvernement alors qu’elle est autorisée dans un esprit de lutte contre les inégalités. En dix ans, le taux est passé, faute de places, de 35 à 21 %.

L’accueil en jardins d’éveil coûte plus cher [^2] que l’école, mais ce n’est plus l’État qui paye. « C’est la logique du transfert de charge, explique Renaud Bousquet. En maternelle, l’État finance les postes d’instituteurs. En jardin d’éveil, l’addition est partagée par les caisses d’allocations familiales, les communes et les familles. » Au-delà de ce changement, tout le secteur souffre d’une politique jouant d’un ­double impératif : combler la pénurie de places d’accueil (350 000) tout en réduisant l’engagement de l’État.

« La première brèche a été ouverte en 2003, quand il a été décidé que des entreprises privées pourraient bénéficier de fonds publics pour créer des crèches, rappelle Jacqueline Farache, en charge des questions familiales à la CGT. Depuis, c’est une avalanche de mesures allant vers toujours plus de déréglementation. » Aujourd’hui, le gouvernement tente, par décret, de réduire le niveau de qualification du personnel des crèches et d’augmenter les capacités d’accueil en surnombre de 10 à 20 %.

« Il est clair que des entreprises qui fonctionnent avec un enjeu de rentabilité financière vont participer d’une éventuelle dégradation des conditions d’accueil » , s’inquiète Pierre Suesser, du collectif d’associations et de syndicats Pas de bébé à la consigne. La Fédération française des entreprises de crèches revendique la gestion, pour le compte d’entreprises ou de communes, de 4,2 % du parc de places en crèches en 2009 et la moitié des places de crèches créées en 2008.

À Aix-en-Provence, après trente ans de gestion associative, les 24 crèches de la ville sont passées, il y a un an, aux mains d’un des leaders du marché, Les Petits Chaperons rouges. Deux mois après, Martine Garin quittait son poste d’éducatrice spécialisée : « Depuis quinze ans, nous développions un travail de réseau afin de garantir l’accueil de tous, des handicapés, des enfants en grande précarité sociale. Lorsque Les Petits Chaperons rouges sont arrivés, ils m’ont dit que le travail social et le soutien à la parentalité n’étaient plus d’actualité. Je pouvais garder mon poste, mais pour faire quoi ? » , raconte l’éducatrice. Le départ de Martine Garin a scellé la fin du service prévention. L’entreprise gestionnaire a ouvert une nouvelle crèche au printemps, dont les 20 salariés ont été extraits des autres établissements de la ville. Pour Pierre Suesser, « le gouvernement et la majorité parlementaires ne voient plus la réglementation du secteur comme le socle de conditions minimales d’accueil et de socialisation des enfants, mais comme un facteur de rigidité ».

La création programmée de regroupement d’assistantes maternelles qui jusque-là assuraient la garde à leur domicile, représente le dernier coup porté à la qualité du service public de la petite enfance. Une proposition de loi, discutée le 14 janvier au Sénat, créera les futures Maisons d’assistantes maternelles (MAM). Favoriser la vie collective dans un système de garde marqué par son isolement est certes séduisant. Mais ces MAM, qui accueilleront jusqu’à 16 enfants, n’auront besoin d’aucun encadrement technique qualifié pour superviser les nounous, ni de projet pédagogique validé par les conseils généraux pour exister.
Les assistantes maternelles bénéficient de 60 heures de formation avant d’être agréées, alors que le personnel de crèche suit un à trois ans de formation. Mais, selon Jean Arthuis, auteur de la proposition de loi, « la charge financière qui résulte [des MAM] pour la commune reste en moyenne sept fois moins élevée que ne le serait une crèche pour le même nombre d’enfants ». « Les communes trouveront-elles un intérêt à créer des crèches demain ? » , se demande Jacqueline Farache.

[^2]: 8 000 euros par enfants selon la Caisse nationale d’allocations familiales contre 4 700 euros en maternelle.

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