Embryon ou baleine : bons pour la recherche !

Jacques Testart  • 25 février 2010 abonné·es

Les travaux réalisés ou seulement imaginés pour recréer un mammouth révèlent les délires qui s’emparent de la science quand elle confond la vie avec une substance chimique, l’ADN [^2]. Mais une certaine conception de la recherche permet d’élargir le bestiaire des cibles utopiques à des organismes vivants. Et quel élargissement ! On va convoquer ici le plus petit avec le plus grand de la classe des mammifères, l’embryon (inférieur à 0,2 mm) et la baleine (30 m). Quoi de commun ? Il s’agit d’êtres vivants protégés absolument… sauf dans cette situation particulière où leur élimination est justifiée par « la recherche ». La magie prométhéenne ou fabuleuse attachée à ce mot amène tous les partisans du progrès à couvrir innocemment bien des activités mercantiles ou des espoirs de gloriole. Remarquons que l’interdit posé par « la communauté internationale » concernant la recherche sur l’énergie nucléaire que souhaitent développer les Iraniens semble être la seule interdiction de science des temps modernes.

Ainsi, la loi française interdit l’utilisation de notre embryon à d’autres fins que la procréation sauf, depuis 2002, dans une situation unique : qu’il devienne l’objet de recherches (ne pouvant pas « être menées par d’autres moyens » ou ayant « une finalité médicale » …). Nos voisins britanniques ne s’embarrassent pas d’une telle phraséologie et peuvent même fabriquer depuis vingt ans des embryons humains dans le seul but de nourrir la science. De même, les Japonais refusent le moratoire international sur la chasse à la baleine. Ils ont trouvé l’astuce qui permet de le contourner : ils tuent des baleines « pour la recherche »  ! Depuis 1987, le programme japonais de recherche sur la baleine aurait permis la publication d’une centaine d’articles scientifiques (le thème semble aussi « compétitif » que celui de la recherche sur l’embryon humain…) mettant ainsi les activités de chasse baleinière en conformité avec la Convention internationale (ICRN) puisqu’elle exige que toute décision soit « fondée scientifiquement » . En conséquence, la chasse à la baleine, qui permet l’analyse de prélèvements (ovaires, bouchons de cérumen, contenus stomacaux, etc.) se trouve validée parce qu’elle serait utile pour « la gestion durable des ressources baleinières » . Tout comme la chasse à l’embryon humain permet des travaux qui sont prétendus nécessaires pour les connaissances embryologiques et les progrès biomédicaux… Alors que tous les progrès récents ont été obtenus avec des embryons de rongeurs. Dans une réponse « essentiellement émotive » (dixit le lobby japonais), les opposants à la chasse à la baleine, tel Greenpeace, prétendent réaliser des recherches équivalentes sans tuer ces animaux, grâce à des observations précises et à des prélèvements d’ADN. Une telle compassion pour les cétacés évoque celle des premières lois de bioéthique (1994) pour l’embryon humain, interdisant la recherche mais autorisant néanmoins des études non destructrices sur ces embryons.

Reste une différence (au moins) entre nos deux modèles. Les « sous-produits de la recherche » comme la viande baleinière doivent, selon la Commission baleinière internationale, obligatoirement être utilisés (donc consommés – à bas le gaspillage !), ce qui semble expliquer l’engouement nippon pour « la recherche ». En revanche, il est interdit de transplanter in utero l’embryon humain à l’issue de la recherche, et il n’existe pas pour lui d’usage alimentaire… À ceux qui s’opposent à leurs activités cynégétiques, les Japonais répliquent que les autres pays « n’ont pas le droit d’imposer leurs valeurs éthiques ou morales pourvu que les baleines soient utilisées en accord avec le droit international et la science » . Un argument qui ne manquera pas d’apparaître en matière de bioéthique si on décide enfin de rompre avec le tourisme scientifique et procréatif, comme avec les trafics de gamètes, embryons, ou utérus porteurs que permettent les contradictions législatives en Europe et dans le monde.

[^2]: « Le mammouth pas encore cloné », Libération, 3 mars 2009 (jacques.testart.free.fr/pdf/texte808.pdf)

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