Vous avez dit réforme fiscale ?

Vincent Drezet  • 29 avril 2010 abonné·es

La campagne des élections de 2012 sera-t-elle « fiscale » ? Avec la polémique sur le bouclier fiscal, le débat sur les niches fiscales, la montée de la question de la répartition des richesses, et la multiplication des propositions touchant à la fiscalité du patrimoine et à celle des revenus, tout le laisse penser. Objectivement, c’est là un point positif que les effets de la crise sur les finances publiques ont par ailleurs incontestablement favorisé : les baisses de recettes fiscales et le plan de relance, notamment, ont creusé les déficits publics et ont posé la question du financement de l’action publique au point de remettre en cause deux piliers de la politique fiscale actuelle, la stabilisation du niveau de prélèvements obligatoires et le bouclier fiscal.

La question n’est en effet plus de savoir si les impôts augmenteront ou non, mais quand et lesquels. Précisons au passage que certaines catégories de contribuables connaissent déjà des hausses d’impôt. Car si, depuis dix ans, la baisse de l’imposition des revenus et du patrimoine a massivement bénéficié aux 10 % et, surtout, aux 5 % des contribuables les plus riches, la plupart des contribuables connaissent une hausse des impôts locaux (due en partie au besoin de financement des compétences transférées dans le cadre de la décentralisation), et certaines catégories de contribuables verront même prochainement leur impôt sur le revenu augmenter. Ainsi, avec l’imposition des indemnités journalières à hauteur de 50 % (qui rapportera entre 100 et 200 millions d’euros) et la remise en cause de la demi-part supplémentaire pour parents isolés (qui touchera plus de 2 millions de contribuables et rapportera 900 millions d’euros après sa suppression définitive en 2013), on assiste déjà à des hausses d’impôt discrètes mais bien réelles de certaines catégories de contribuables.

De nombreuses voix s’élèvent pour affirmer qu’il faudra rapidement augmenter le niveau des prélèvements obligatoires. Mais lesquels ? L’une des pistes qui tient la corde mérite d’être analysée : elle porte sur la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et du bouclier fiscal et, dans le même temps, sur la création d’une nouvelle tranche à l’impôt sur le revenu (à 45 ou 50 %). Politiquement, la proposition est astucieuse ; elle satisferait tout à la fois ceux qui dénoncent le bouclier fiscal, ceux qui veulent la peau de l’ISF et ceux qui préconisent un renforcement de l’impôt sur le revenu. Une réforme « gagnant-gagnant-gagnant » en quelque sorte. Mais qu’en est-il en réalité ? Supprimer le bouclier fiscal procure à l’État une économie de 600 millions d’euros environ. La suppression de l’ISF le prive de 3,6 milliards d’euros. L’instauration d’une tranche à l’impôt sur le revenu lui rapporterait, selon les scénarios, entre 800 millions et 1,9 milliard d’euros. Au final, il manque donc entre 1,1 et 2,2 milliards d’euros. De plus, au-delà de ce manque à gagner, une telle réforme ne mettrait pas à contribution les revenus financiers, imposés dans leur grande majorité au taux proportionnel de 18 % (plus les prélèvements sociaux). En clair, elle reviendrait à alléger la fiscalité sur le patrimoine des rentiers et des « très riches », dont le revenu total est composé au moins pour moitié de revenus du patrimoine, et à imposer plus lourdement les salariés (au cas particulier, surtout les cadres).

Que faire ? Comme l’impôt sur le revenu, l’ISF est mité par les niches fiscales (pacte d’actionnaires, réduction pour investissement dans les PME…), il est en voie de décomposition. Repenser la fiscalité du patrimoine consisterait à mettre sur pied un impôt général sur le patrimoine assis sur une assiette large. Un « new deal fiscal » s’impose aussi en matière d’imposition des revenus avec le rétablissement d’une vraie progressivité et un élargissement de l’assiette remettant en cause les dispositions permettant une défiscalisation outrancière. Ces pistes permettraient de répondre aux nécessités en termes de rendement et de redistribution, et tireraient les enseignements de la crise, dont l’un des accélérateurs a été précisément les baisses massives d’imposition des revenus et du patrimoine.

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