Des droits joués à la roulette russe

Le congé maternité des intermittentes du spectacle est un casse-tête administratif qui laisse beaucoup de femmes sans ressources. Cette discrimination par rapport aux salariées ne fait l’objet ni d’étude ni de réforme.

Laurence Texier  • 13 mai 2010 abonné·es
Des droits joués à la roulette russe

Sur le papier, ça paraît (relativement) clair. Une intermittente du spectacle peut bénéficier d’un congé maternité si elle a « effectué au moins 200 heures de travail salarié ou assimilé au cours des 3 mois civils ou des 90 jours » précédant son interruption de travail.

La réalité est autrement plus complexe… Malgré cet acquis – récent puisque ce n’est qu’en mai 2004 que le congé maternité des intermittentes s’est vu assimilé à du travail effectif à raison de 5 heures par jour –, chaque année, de nombreuses artistes ou techniciennes du spectacle (annexes 8 et 10) se ­retrouvent sans ressources durant leur grossesse. « Parfois de façon très bête », raconte Madeleine Demoule, la spécialiste « Sécurité sociale » du Syndicat français des artistes interprètes (SFA) : « Alors qu’elles avaient bien travaillé les 200 heures requises sur les derniers trois mois, elles acceptent un nouveau cachet qui leur fait perdre leur droit à l’indemnisation ! », celui-ci venant en effet modifier la période de référence prise en compte pour le calcul des heures travaillées.

Pointant le caractère discriminatoire de l’indemnisation du congé maternité pour les professions non-salariées (indépendantes, agricultrices, artisanes, commerçantes, libérales, saisonnières, intérimaires…), la députée PS Danielle Bousquet a proposé le 25 mars à l’Assemblée nationale de dresser un état des lieux de ce ­phénomène mal connu, faute de données officielles. Mais Nadine Morano, secrétaire d’État en charge de la Famille, a jugé que ce n’était « pas nécessaire ».

Pour l’heure, le parcours de la combattante continue. « Il faut appeler plusieurs fois votre caisse d’assurance-maladie pour tomber sur des personnes différentes » et espérer obtenir enfin la bonne information. Ce conseil de Madeleine Demoule illustre le caractère aléatoire du congé maternité des intermittentes. « Le droit commun s’applique, comme pour tous les autres salariés et il n’y a pas de statut spécifique en termes d’assurance maternité », affirme le service communication de la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam). Reste que, lorsqu’il s’agit d’évaluer les droits des intermittentes, même les professionnels s’emmêlent les pinceaux. « Certaines caisses de l’assurance-maladie disent aux artistes venues les consulter : “Si vous avez des infos, on est preneurs.” Il nous arrive d’apporter de la documentation au guichet », témoigne la syndicaliste. « Il y a des caisses qui n’y connaissent rien et sont franchement désagréables. Mais j’en ai vu d’autres se décarcasser pour trouver les heures nécessaires à une indemnisation en ouvrant parfois des droits bien avant le dernier jour travaillé. »

Certaines caisses prennent pour temps de référence un cachet équivalant à 16 heures travaillées, non seulement pour les artistes mais aussi pour les techniciennes. D’autres calculent à partir du premier jour du congé et non pas du dernier jour travaillé. Des employeurs inscrivent sur les fiches de paie les heures travaillées à la place du cachet… Autant de variables dans l’interprétation des textes et des dossiers qui donnent aux intermittentes le sentiment de jouer leurs droits à la roulette russe. Et, surtout, d’en payer les conséquences sur le long terme, car tout congé maternité entraîne une radiation du Pôle emploi et donc la perte de l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE). Les intermittentes recalées par la Sécurité sociale subissent donc une forme de double peine. Privées d’indemnisation par l’assurance-maladie, elles perdent aussi leur indemnisation chômage puisque les cinq heures journalières ne seront prises en compte qu’à la réouverture de leurs droits au Pôle Emploi. « Tandis qu’une femme qui touche le RSA continue à le percevoir pendant son congé maternité, une intermittente qui a des enfants perd tout ! », dénonce Mathilde, chargée de production dans le théâtre. « Imaginez le drame pour une femme seule avec son enfant… », renchérit Madeleine Demoule.

À une poignée d’intermittentes, elles ont créé un blog pour « faire reconnaître la discrimination qui existe concernant les congés maternité des intermittentes ». « Si je n’ai pas été indemnisée, c’est que j’ai travaillé en dessous du Smic : soit 3 500 euros pour trois mois et demi de travail, lors de mon dernier montage », confie Sophie Grant, du collectif. Qui s’insurge : « Le monde du spectacle s’appuie sur les intermittents et profite du fait que les revenus sont indépendants du salaire pour tirer sur la masse salariale en rognant sur la protection sociale. »

Au-delà de leur cas particulier, les initiatrices de ce blog entendent rallier à leur combat pour le droit à un congé maternité indemnisé les travailleuses précaires et isolées, les professions discontinues et sans représentants syndicaux. Une revendication loin d’être anecdotique à l’heure où les contrats à temps partiel et le nombre de travailleurs précaires ne cessent de croître dans un contexte aux antipodes de celui qui a vu naître la Sécurité sociale.

Société
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