Les Big Brother feront-ils des petits ?

Christine Tréguier  • 10 juin 2010 abonné·es

Samedi 29 mai, s’est déroulée la remise des prix du public de l’édition anniversaire 2010 des Big Brother Awards, qui distinguent les plus chauds partisans de la surveillance publique. Les présents ont pu voter dans une véritable urne municipale, les autres l’avaient fait par Internet. La sélection des candidats puisés dans les primés/nominés des dix années écoulées tenait du catalogue des pires effets des technologies de contrôle, et la concurrence a parfois été serrée entre les différents postulants.

Dans la catégorie « État/élus », ce sont les ministres successifs de la Culture qui ont enlevé le trophée. Les internautes n’ont pas eu de mal à imposer leur préférence pour Jean-Jacques Aillagon, Christine Albanel et Frédéric Mitterrand, collaborateurs zélés des industriels de la culture et ardents défenseurs de l’Hadopi, de la DADVSI et du pistage des internautes. Ceux-ci ont eu une double victoire puisqu’ils ont fait basculer le vote de la catégorie « entreprise » en faveur d’une autre candidature groupée : la Société civile des producteurs de phonogrammes (SCPP), Universal et Sony BMG, qui portent également l’entière responsabilité des funestes DRM ( digital rights management , « gestion des droits numériques »), aujourd’hui passés aux oubliettes. La mention « exécuteur des basses œuvres » est allée au directeur de l’Insee, Jean-Michel Charpin, primé en 2005 pour sa participation à la mise en place de l’opération Ines (Identité nationale électronique sécurisée). Il avait, entre autres, modifié le contenu et les droits d’accès au Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP).

En catégorie « localité », le public a sanctionné les quelque 400 chefs d’établissement ayant estimé de leur devoir de financer et d’implanter des systèmes biométriques dans les cantines ou à l’entrée des écoles ou collèges. Certains avaient été repérés dès 2003, et chaque année a apporté son lot de nouveaux adeptes. Cet Orwell fait écho à celui que le public a attribué en « novlangue » à Jacques-Alain Bénisiti et à l’Inserm pour deux rapports datant de 2005. Souvenez-vous de « la courbe montrant comment l’enfant s’éloigne du droit chemin pour aller vers la délinquance », et de la « détection précoce » de la délinquance et des troubles du comportement prêchée par des chercheurs dénoncés par leurs pairs. Le grand prix pour « l’ensemble de son œuvre » est allé non pas au fort lourd dossier du ministère de l’Intérieur, mais à Thalès, pour ses technologies de surveillance, de détection et de pistage. Rappelons que Thalès équipe non seulement les aéroports de ses smart corridors, mais vend ses systèmes de contrôle aux frontières à tous les pays désireux de faire la chasse aux clandestins.

Le score était serré sur la question subsidiaire – faut-il exclure Nicolas Sarkozy ou le primer pour l’ensemble de son œuvre ? Celui qui avait été exclu pour dopage et récidivisme depuis son accession à la présidence a finalement écopé d’un Orwell ; et les organisateurs, beaux joueurs, se sont pliés au choix de leur public. En fin de cérémonie, petit coup de théâtre inattendu : ils ont annoncé qu’ils se retiraient des BBA et passaient la main à d’autres, pour pouvoir se consacrer à d’autres modes d’action. Que vivent donc les BBA 2011, sous cette forme ou sous une autre.

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