Les facéties d’Avignon

Après des années de gravité, l’humour revient au palais des Papes, notamment avec les œuvres vertigineuses d’Olivier Cadiot.

Gilles Costaz  • 8 juillet 2010 abonné·es
Les facéties d’Avignon
© PHOTO : CHRISTINE RAYNAUD DE LAGE Festival d’Avignon, jusqu’au 27 juillet, 04 90 14 14 14,

Le 64e Festival d’Avignon vient de commencer, dessiné par ses deux artistes invités : le metteur en scène suisse Christoph Marthaler et l’écrivain Olivier Cadiot. Ce dernier revient avec son complice de toujours, le metteur en scène Ludovic Lagarde. Il incarne une littérature joueuse, dont le tourbillon phrasé est d’une très neuve séduction. Il apporte au festival un ton qui s’annonce plus facétieux que les années précédentes, comme en témoigne cet entretien que nous avons eu avec lui.
Mais Cadiot et Marthaler ne sont pas les seules figures de l’entreprise qui se noue dans le palais des Papes et autour de lui. Dans le in, on pourra voir les nouvelles pièces de Christophe Huysman et Philippe Quesne, Richard II joué par Denis Podalydès et mis en scène par Jean-Baptiste Sastre, des mises en scènes de Guy Cassiers, François Orsoni, Jean Lambert-wild, Stanislas Nordey, des chorégraphies d’Anne Teresa De Keersmaeker, Alain Platel, Joseph Nadj et Boris Charmatz. Et, dans le off, un petit millier de spectacles !

Politis : Olivier Cadiot,
vous êtes le premier écrivain invité comme artiste associé
au Festival d’Avignon. La nature solitaire de l’écrivain n’est-elle pas rebelle à cette activité collective et programmatrice ?

Olivier Cadiot : C’est vrai qu’il y a quelque chose de contradictoire. Mais ma vie d’écrivain n’est pas toujours solitaire. Je travaille régulièrement avec Ludovic Lagarde, avec des musiciens ; le travail de traduction de l a Bible avait des aspects collectifs ; les collaborations à des revues passent par beaucoup de conversations. Nos entretiens avec les directeurs d’Avignon, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, durent depuis deux ans. J’ai même eu à discuter des débats du « théâtre des idées » et du cycle de musique d’orgue. Mais, à l’approche du festival, n’étant pas metteur en scène, je ne suis plus en première ligne. Je peux me dire : quelle aventure ! Dans quel autre lieu aurait-on pu faire ce que nous avons fait ? Il y a deux textes au programme, Un nid pour quoi faire, un roman de 2007, et Un mage en été, un texte nouveau. J’écris assez lentement. Je publie un livre tous les quatre ans. Avignon m’a obligé à accélérer un peu pour donner un texte à Ludovic Lagarde. Et puis je fais une lecture au début du festival pour rappeler que tout ce travail vient du livre. Même avec les musiciens avec qui je travaille, comme je n’écris pas de chansons, tout vient des livres.

Vous n’avez pas fait que de l’écrit. Il y a, dans le programme, des idées qui viennent de vous. Et on sait qu’il y a eu une très bonne entente entre vous et l’autre artiste invité, le metteur en scène Christophe Marthaler.

Je n’ai pas été programmateur. La seule idée que j’avais, c’est de faire un grand bal. Nous n’avons pas travaillé à partir de noms mais, progressivement, nous avons créé un fil qui devenait une liane et se développait presque naturellement. C’est Hortense Archambault et Vincent Baudriller qui ont tissé cette toile. Le spectateur, je l’espère, aura au final une impression d’ensemble… Un climat ? Avec Marthaler, on s’est bien entendus très vite. J’aime le regarder travailler, on dirait qu’il sculpte des sons, des gestes, des sensations dans l’air.

Avec Marthaler vous êtes allé vers une dominante assez facétieuse.

Le comique accélère les choses et permet peut-être de supporter une plus forte dose de tragédie. Marthaler nous fait monter les larmes aux yeux avec la Messe des pauvres de Satie. Mais il le déjoue sans cesse par des couacs et des accidents. Rodolphe Burger sait être quelquefois un artiste de la reprise. Pascal Dusapin donnera une soirée où il reviendra avec une « réduction » de l’opéra Roméo et Juliette, dans le cloître des Carmes… Ce n’est pas un festival qui va être trop ­théorique.

**Votre nouveau texte, Un mage en été, prolonge les aventures de votre personnage Robinson. Et c’est un monologue,
à la différence d’ *Un nid pour quoi faire.

Depuis longtemps je voulais revenir au monologue. Nous avions eu dans les années 1990, avec Ludovic Lagarde, Laurent Poitrenaux et le compositeur Gilles Grand, une expérience extraordinaire avec le monologue le Colonel des zouaves. C’était l’histoire d’un homme qui en faisait trop, un workaholic , un Robinson perdu dans les caves d’un château. Une pièce sur l’excès. Je voulais imaginer l’inverse, chercher la lenteur et la tendresse. J’ai pensé aussi que ce personnage qui court de livre en livre était suffisamment aguerri pour enfin s’occuper de moi. Se rapprocher de ma vie. Il se trouve que j’ai un mage étrange dans ma famille au XIXe. Je suis allé vers ce mage comme pour faire une autobiographie à l’envers. Ce livre est plus fluide peut-être que les précédents. Il faut que le lecteur et le spectateur ­mangent de la complexité avec ­plaisir.

L’autre spectacle, Un nid pour quoi faire, garde-t-il cet aspect gestuel et précipité qu’avaient vos précédentes collaborations avec Ludovic Lagard e ?

Parallèlement à ce retour du monologue, le travail de Lagarde semble devenir de plus en plus théâtral, moins chorégraphique. Même s’il y a une scène de madison en chaussures de ski. C’est une pièce assez burlesque, mais ce que je trouve intéressant dans son projet, c’est qu’il ne se limite pas à une satire. Il a intégré une voix off qui injecte de la mélancolie. On est à la fois dans la vie quotidienne d’une cour royale délirante et dans la vie intérieure d’un drôle de témoin de passage. Lagarde trouve toujours, à un moment donné, une solution nouvelle sonore et visuelle.

Vous allez aussi vous-même lire vos textes dans la Cour d’honneur. Ce n’est pas un cadre trop vaste ?

Je fais trois lectures. Celle de la Cour d’honneur, le 10 août, dans le décor de Marthaler pour Papperlapapp . Ailleurs, je ferai projeter l’un de mes anciens textes pour le déchiffrer et l’improviser. Enfin, je lirai moi-même Un mage en été. L’auteur n’est pas le meilleur lecteur, sa lecture indique juste son tempo d’écriture. Pour la lecture dans la Cour d’honneur, je me suis demandé si un même narrateur courait dans tous ces livres. Y a-t-il vraiment un personnage qui traverse tout ça ? À quoi ressemble-t-il, il vieillit ? Il change ? Il revient en arrière ? C’est vrai que c’est un peu surdimensionné pour une lecture, mais la Cour, si on la regarde de haut, ressemble à un château fort pour enfants. Et puis ce n’est qu’un soir.

Ce sera un festival délibérément « moderne »…

Je ne me sens pas moderne, si moderne veut dire imposer une esthétique, je préférerais que le spectateur reparte avec des stocks d’impressions, des monstres faits d’une phrase là, d’un son ici, d’un visage pris dans une pièce et d’un pied dans une autre. Une impression, un fragment, une note, c’est déjà pas mal. Les spectateurs sont infidèles, ils ont raison.

Culture
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