L’exemple vient de l’Élysée

Le Président ne se cache pas d’aimer l’argent, et cultive ses amitiés avec le gotha des affaires. Rien d’étonnant, alors, à ce que ses ministres veuillent eux aussi tirer parti de leur fonction.

Michel Soudais  • 8 juillet 2010 abonné·es

Qu’y a-t-il de commun entre les cigares de Christian Blanc, le permis de construire abusif d’Alain Joyandet, les deux logements de fonction parisiens de Christian Estrosi, l’appartement de fonction de Fadela Amara dans le VIIe arrondissement, inoccupé par elle mais mis à la disposition de sa famille, et le somptueux hôtel réservé par Rama Yade en Afrique du Sud ? Entre le cumul par Christine Boutin d’une retraite de parlementaire et d’un confortable salaire versé pour une mission de consolation, et la double casquette d’Éric Woerth, trésorier de l’UMP et ministre ?
Pas grand-chose à première vue. Et c’est bien ce que suggèrent les démissions de Blanc et de Joyandet. Qu’importe que celles-ci soient spontanées ou que l’Élysée les ait exigées. Trois jours plus tôt, Nicolas Sarkozy confiait aux députés UMP n’avoir pas apprécié « certains comportements ministériels » . « J’en tirerai sévèrement les conséquences à l’automne » , avait averti le chef de l’État. Un brusque changement de climat en Sarkozie a fait tomber l’automne un 4 juillet. Mais la sévérité présidentielle, elle, attendra. À moins que le chantre de la « tolérance zéro » ait estimé que seuls ces deux lampistes avaient eu des comportements répréhensibles. Dédouanant de fait les autres ministres dont la probité avait été mise en cause dans les médias.

À commencer par Éric Woerth, dont les dénégations sur ses relations – et celles de son épouse – avec Liliane Bettencourt alimentent un feuilleton détestable. Le ­ministre du Travail, qui détenait jusqu’en mars le ­porte­feuille du Budget, est aussi trésorier de l’UMP. D’où une source de confusion quand le ministre met en œuvre un bouclier fiscal qui allège fortement l’impôt de quelques grandes fortunes que le trésorier de l’UMP cajole pour qu’elles versent leur obole au financement de son parti. Mais le Président ne voit rien de répréhensible dans ses fréquentations.
Lui-même compte parmi ses amis nombre de patrons du CAC 40. Le 6 mai 2007, c’est avec ce gotha des affaires et de la finance qu’il avait savouré les premiers instants de sa victoire – leur victoire ! – électorale au Fouquet’s. C’est sur le yacht de son ami Vincent Bolloré qu’il était allé prendre quelques jours de repos avant sa prise de fonction. Dans un de ses jets qu’il avait été à Louxor avec Carla Bruni, à Noël 2007…

« Jamais avant Nicolas Sarkozy un chef d’État français n’avait affiché une telle proximité avec l’argent, ses symboles, ses attributs, une telle complicité avec ses détenteurs », notaient Renaud Dély et Didier Hassoux dans un essai paru il y a deux ans [^2]. Ces deux journalistes y expliquaient combien, selon eux, « la vraie “rupture” sarkozyste » résidait « dans la relation intime qu’il prétend instaurer entre la société française et l’argent » : « En mêlant usage privé et public de l’argent, intérêt général et intérêts particuliers, Nicolas Sarkozy rompt franchement avec toute la tradition de la Ve République » . Et sème le doute sur les motivations réelles de bien des décisions publiques. Le Président annonce la suppression de la publicité sur les chaînes publiques ? On se demande si ce n’est pas pour satisfaire les intérêts de son ami Martin Bouygues. Il reçoit des chefs d’État africains ? On songe aux bonnes affaires que Vincent Bolloré fait avec eux. Il décide de rendre gratuite la scolarité dans les lycées français à l’étranger ? Il se pourrait que ce cadeau ne soit pas étranger au fait que son fils Louis fréquente un de ces établissements, à Dubaï.

Candidat en 2007 d’une « droite décomplexée », Nicolas Sarkozy n’a eu aucun complexe à augmenter son traitement de 170 %, dès sa prise de fonction. « J’aime l’argent, confiait-il en février 2008 à Jean Daniel, l’éditorialiste du Nouvel Observateur, j’ai beaucoup d’amis riches, et je n’ai aucun complexe à le revendiquer ! » Devant un tel ­exemple, il faudrait que les ministres soient sacrément vertueux pour ne pas, eux aussi, être tentés de profiter des facilités que leur procure leur fonction. Et jouir d’un train de vie comparable à celui des grandes fortunes dont ils servent les intérêts.

Durant la première moitié du quinquennat, une sorte de voile pudique recouvrait les pratiques devenues insupportables aujourd’hui. Avant Alain Joyandet, à qui il est reproché d’avoir loué pour 116 500 euros un avion privé pour participer en Martinique à une conférence internationale, Christian Estrosi, alors secrétaire d’État à l’Outremer, avait aussi loué un jet pour se rendre à Washington. Le 23 janvier 2008, il devait y défendre l’inscription du lagon de Nouvelle-Calédonie au patrimoine de l’Unesco, accompagné d’une délégation d’une dizaine de personnes. Une réservation sur un vol d’Air France avait été faite, mais elle lui aurait fait manquer un pot organisé à l’Élysée entre fidèles sarkozystes. Le coût de cette coupe de champagne, chiffrée par le Canard enchaîné : 138 000 euros. Le maire de Nice, qui en avait profité pour se faire déposer chez lui au retour, s’en était tiré avec des excuses.
« Les Français, quand ils vont bien, plus rien ne les choque », expliquait cyniquement Éric Besson à cette époque. Mais la crise est passée par là. Et les Français ne vont plus bien.

[^2]: Sarkozy et l’argent roi, Calmann-lévy, 240 p., 17 euros.

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