« Un pied dans le crime » : des vaudevilles plein les placards

On frise en ce moment l’overdose de pièces de Feydeau, mais Jean-Louis Benoit monte un très bon Labiche, « Un pied dans le crime ».

Gilles Costaz  • 11 novembre 2010 abonné·es

C’est le trop-plein, l’overdose, le gavage ! Feydeau occupe nos affiches jusqu’à l’écœurement. À croire que la vie n’a pas changé et que nos contemporains courent au grand galop tromper leur femme ou leur époux à l’hôtel du Libre-Échange ou dans les chambres du Minet-Galant ! En général, on choisit Feydeau parce que c’est une valeur sûre qui remplit la caisse. Mais ce ne peut être la motivation de Philippe Adrien, qui montait récemment à la Tempête le Dindon (bonne atmosphère, bons acteurs mais pourquoi en faire tant dans la sexualité quand c’est naturellement sexuel ?). Ni celle de Richard Brunel, nouveau directeur de la Comédie de Valence, qui vient présenter à Montreuil J’ai la femme dans le sang  : des Feydeau adaptés par lui et Pauline Salles. Ni celle de Gérard Gélas, qui, à Avignon, va traquer les arrière-plans de Mais n’te promène donc pas toute nue !

Pas de vrai calcul commercial non plus chez Alain Françon, bien que son spectacle en deux soirées, Du mariage au divorce , créé au Théâtre national de Strasbourg, vienne s’installer dans le circuit privé parisien, à Marigny, prochainement. Il s’agit là de servir le vaudevilliste sans dérapage, dans une vérité sèche, aussi hilarante que terrifiante. Les deux volets comportent chacun deux pièces d’une heure, les célèbres On purge bébé , Feu la mère de Madame … Grande qualité au bout du compte avec de grands acteurs : Éric Elmosnino, d’une rigueur impressionnante dans la comédie, Dominique Valadié, Anne Benoit, Régis Royer et, sachant capter de la poésie là où il y en a peu, Gilles Privat et Judith Henry. Mais l’entreprise semble trop gagnée d’avance.
La surprise vient d’un autre auteur de la même veine, Labiche, dont Jean-Louis Benoit, plus aventureux, monte une pièce oubliée, Un pied dans le crime . Là, tout est découverte : ce texte méconnu où un bourgeois se torture l’esprit au sujet d’une affaire judiciaire dans laquelle il est à la fois le juré et le coupable, une mise en scène qui ne cesse d’inventer, des acteurs qu’on n’avait pas souvent vus ainsi.

Philippe Torreton joue ce bourgeois secoué par la culpabilité et le remords avec une gravité délectable. Dominique Pinon insuffle sa démesure à l’autre personnage de bourgeois et se transforme en chef de chorale en faisant chanter les couplets au public (faire entonner « Vive la France et l’empereur ! » , il faut le faire !). Ce qui est formidablement réussi, des inventions de Benoit au jeu de la troupe (Jean-Pol Dubois, Carole Malinaud, Karen Rencurel, Valérie Kéruzoré, Louis Mérino), c’est le sens des petits riens. Tout ce beau monde s’angoisse, se chamaille et complote pour des choses absolument sans importance. Il y a longtemps qu’on n’avait pas senti un air nouveau dans la mise en scène de Labiche. C’est fait avec ce Pied dans le crime .

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