Ces pauvres qui gênent le gouvernement

Les services de Roselyne Bachelot ont publié en catimini les derniers chiffres de mesure de la pauvreté en France. ATD Quart Monde a déniché le document et en propose une analyse implacable.

Xavier Frison  • 13 janvier 2011 abonné·es
Ces pauvres qui gênent le gouvernement
© Photo : Poujoulat / AFP

Vous qui avez obligation de publier un rapport embarrassant et souhaitez faire le moins de bruit possible, suivez donc la recette du ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale. Au lieu de sortir comme à l’accoutumée le tableau de bord des indicateurs de la pauvreté en France le 17 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale de la misère, les services de Roselyne Bachelot ont procédé différemment pour la mouture 2010. Trucs et astuces pour sortir un document en s’assurant qu’il ne sera lu de personne : 1- Le publier la veille de Noël, quand l’internaute déserte son écran et les médias tournent au ralenti. 2- Ne pas lancer de communiqué de presse 3- Enfouir ledit rapport dans les limbes de son site Internet. 4- Le nommer de la façon la plus sibylline possible. 5- Si un quidam avait l’idée saugrenue d’y fourrer le nez, malaxer les données avec un indicateur tarabiscoté pour faire briller les chiffres. 6- Laisser mariner et passer à autre chose.

Manque de chance, ATD Quart Monde était à l’affût. Dès le 3 janvier, l’association publiait un communiqué de presse pour déplorer que « de tels chiffres soient publiés en catimini dans la quasi-indifférence, alors qu’ils devraient faire l’objet d’une mobilisation nationale » . Le document, sobrement intitulé Rapport au Parlement-Suivi de l’objectif de baisse d’un tiers de la pauvreté en cinq ans, veut faire croire que la réalisation du projet ambitieux voulu par Nicolas Sarkozy en 2007 est en bonne voie. Ainsi, la proportion de personnes en situation de pauvreté aurait diminué « de 11 % sur deux ans » . Faux, rétorque Bruno Tardieu, délégué national d’ATD Quart Monde, qui dénonce l’utilisation d’un indicateur opportunément flatteur. Créé spécialement en 2007 pour le tableau de bord, à contre-courant des indicateurs existants recommandés par l’Union européenne, le « taux de pauvreté monétaire ancré dans le temps » permet d’annoncer une baisse à deux chiffres en basant sur l’année 2006 le revenu de référence en dessous duquel est considérée la pauvreté. De fait, « le revenu médian augmente mécaniquement année après année, sans rien faire » , dénonce Bruno Tardieu. « Si l’on appliquait cet indicateur figé sur la période 2002-2007, la pauvreté devrait avoir théoriquement baissé de 30 %, ce qui n’est évidemment pas le cas ! » , précise-t-il.

La deuxième manipulation consiste à ne mettre en avant que les populations flirtant avec les 60 % du revenu médian, soit le seuil de pauvreté officiellement déterminé. En oubliant les seuils de 50 % et 40 %, inclus dans le tableau à la demande des organisations de la société civile, là où se débattent les plus modestes. Là où l’on observe, aussi, « que la grande pauvreté s’aggrave » , comme le constate ATD Quart Monde.
Il existe néanmoins un chiffre sur lequel tout le monde semble s’entendre : le taux de pauvreté calculé sur l’année en cours est de 13 % de la population. Une donnée stable, même si l’aspect monétaire n’est qu’une composante de la pauvreté, alimentée par d’autres éléments.

Pointée du doigt par Bruno Tardieu, la légèreté du document face à la question de l’éducation laisse songeur. Selon la synthèse du rapport, « l’exclusion scolaire ne s’est pas aggravée » , et « le niveau de qualification des jeunes des milieux les plus modestes reste stable » . « Nous sommes très choqués par les conclusions du gouvernement » , réagit Bruno Tardieu, qui pointe l’augmentation de la proportion d’élèves de CM2 ne maîtrisant pas les connaissances de base (11,5 % en 2007 contre 18 % en 2009). « L’échec scolaire s’aggrave et le niveau social a de plus en plus d’impact dans cet échec. Le lien entre échec scolaire et pauvreté, c’est une question centrale, un scandale profond, durable et grave que personne n’entend. Les familles très pauvres nous disent en priorité vouloir éviter que leurs enfants vivent la même situation qu’elles, et souhaitent donc qu’ils soient bien éduqués. Toute la communication sur le fait que les familles pauvres ne s’intéressent pas à l’éducation de leurs enfants est fausse. »

Autre écueil soulevé par ATD Quart Monde, le renoncement aux soins empire. Augmentation du forfait hospitalier, hausse des cotisations, refus de soins opposés aux bénéficiaires de la couverture maladie universelle, futures restrictions d’accès à l’aide médicale d’État, autant d’éléments qui incitent les plus pauvres à espacer les visites chez le médecin, voire à s’en passer. « Quand on gagne 430 euros par mois, il ne reste très vite qu’1 ou 2 euros par jour et par personne » , rappelle Bruno Tardieu.

Même bilan négatif pour le nombre de ménages surendettés, en hausse de 18 % entre 2007 et 2009. « Dans certains quartiers populaires, on voit des représentants de banques anglaises venir proposer des crédits aux gens, relate le secrétaire général d’ATD Quart Monde. Il n’y a pas assez de barrières pour contrer les vendeurs de crédit. » Éradiquer ce commerce parasite, véritable arnaque légale à grande échelle, nécessiterait de s’attaquer aux banques et au principe de liberté d’entreprendre. Pas vraiment dans l’air du temps à Matignon.

Seul indicateur qui trouve grâce aux yeux de l’association, l’amélioration des relogements consécutifs à la loi sur le Droit au logement opposable (Dalo), même si cela « ne marche pas » en Île-de-France, région qui reste, de très loin, la plus concernée par le mal-logement.

Plus globalement, ATD Quart Monde dénonce la « logique de coups » du gouvernement. Le rapport annonce 33 programmes ministériels « qui contribuent à la politique transversale d’inclusion sociale » pour un montant de 30 milliards d’euros. « Ce sont des programmes, pas une politique générale , insiste Bruno Tardieu. Par exemple, au moment où le thème des jeunes est à la mode, on sort le RSA jeunes. Mais comme il faut avoir moins de 25 ans et déjà deux ans de travail à temps plein derrière soi pour en profiter, le dispositif ne touche pas les plus pauvres. » Et laisse le sacro-saint « mérite » briller au firmament de l’idéologie gouvernementale.

Rapport complet : http://bit.ly/gl1xtm

Du 4 au 6 mars, ATD Quart Monde organise un débat autour de l’école au Forum pour un monde sans misère à La Villette, à Paris, sur le thème « Le collège est-il révélateur des talents de la jeunesse ? » Au programme : décrochage, orientation, pédagogie, liens famille-collège…
Rens. : http://www.atd-quartmonde.asso.fr

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