À contre-courant / Le programme Dany Boon

Thomas Coutrot  • 14 avril 2011 abonné·es

Le démographe Emmanuel Todd et l’économiste Jacques Sapir sont tout sauf des sympathisants de la droite extrême. Pourtant, le premier a récemment déclaré sur France 3 (le 11 mars) qu’ « on risque d’avoir une situation où le Front national arrive à l’élection présidentielle avec le seul programme économique raisonnable » . Et le second, au journaliste de Libération (le 7 avril) qui lui demande si ses propositions – protectionnisme contre les autres pays européens, sortie de l’euro – ne l’amènent pas fort près des thèses de Marine Le Pen, répond : « Je ne me pose pas ce genre de question. »

Il devrait pourtant se les poser. Ce n’est pas à ces deux remarquables chercheurs que je l’apprendrai : il n’existe aucun « programme économique ». Il n’y a que des projets politiques, auxquels des économistes proposent des outils plus ou moins pertinents tirés de leur boîte professionnelle. Le projet politique du néolibéralisme était de soumettre les États à la loi des marchés financiers afin de vider la démocratie de toute substance et d’assurer la domination des rentiers. Le projet politique de Marine Le Pen est de former un bloc identitaire – un « front national » et pseudo-social – contre les étrangers. Dans le domaine économique, cela passe par une démagogie effrénée contre ceux – Chinois, Tunisiens ou Allemands – qui seraient la cause de tous nos maux.

Emmanuel Todd – comme le parti socialiste avec son nouveau programme pour 2012 – fait semblant de prôner un « protectionnisme européen ». Mais, comme cette perspective n’est guère crédible dans l’immédiat, elle débouche assez vite sur le protectionnisme français, que réclame plus honnêtement Jacques Sapir. Outre la Chine, Sapir montre du doigt, on ne sait trop pourquoi, « la Slovaquie et la République tchèque ». Mais, après la Chine (20 milliards d’euros en 2009), c’est bien avec l’Allemagne (16 milliards) et la Belgique (9 milliards) que la France a le plus fort déficit commercial. C’est donc contre ces trois pays qu’il faudrait logiquement commencer à ériger des barrières douanières. Vive le « programme Dany Boon » (douanier à la frontière franco-belge dans l’immortel Rien à déclarer ) !
Bien sûr, le libre-échange est devenu une catastrophe planétaire, aux conséquences sociales et écologiques désastreuses. La mise en concurrence systématique des travailleurs, la croissance exponentielle des transports internationaux ne sont plus soutenables. Mais le remède serait bien pire que le mal s’il consistait à dresser les peuples les uns contre les autres, chacun au nom de son « intérêt national ». Les problèmes majeurs de notre époque appellent des réponses coopératives internationales : une reconversion écologique fortement créatrice d’emplois, avec une révolution énergétique, la lutte contre la pauvreté et les pandémies, l’adaptation au réchauffement climatique, les taxes globales… Prôner le repli national au moment où la planète prend feu est purement irresponsable.

Oui, il faut réduire les excédents commerciaux de l’Allemagne, qui menacent de faire s’effondrer l’euro : non en taxant les produits allemands, mais en soutenant les revendications salariales des travailleurs allemands. Oui, il faut faire cesser les délocalisations qui créent du chômage : pas en fermant les frontières mais en instaurant le contrôle social sur les décisions stratégiques des grands groupes, en lieu et place de la toute-puissance des actionnaires. Oui, il faut augmenter fortement les coûts du commerce mondial : non par des politiques douanières unilatérales et agressives, mais par une taxe kilométrique coopérative et symétrique, qui s’applique autant aux exportations qu’aux importations. Oui, il faut instaurer le contrôle social sur la création monétaire : pas en revenant au franc (la Banque de France était-elle plus sociale que la Banque centrale européenne ?), mais en réformant la BCE, pour que les États puissent lui emprunter plutôt qu’aux marchés financiers. Oui, il faut rompre avec le carcan
des traités européens et de l’actuelle Union : mais pour refonder
une Union solidaire et démocratique, entre les pays dont les peuples auront réussi à secouer le joug néolibéral.

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