La guerre des bulles

À Lyon, « Traits résistants » retrace
le traitement
de la Résistance
par la bande dessinée. Une exposition riche d’enseignements
et d’images.

Jean-Claude Renard  • 28 avril 2011 abonné·es

Le mythe a la peau dure. Traînant avec lui l’image du résistant fougueux, valeureux, le port altier, le cheveu au vent, mèche en bataille, la mitraillette à la main, surgissant dans la nuit. Du courage pour les braves. Hardi petit ! Épinal n’est pas loin. C’est d’abord ce que l’on observe dans cette exposition, « Traits résistants », consacré au traitement de la Résistance dans la bande dessinée de 1944 à aujourd’hui, au Centre d’histoire de la Résistance et de la déportation (CHRD), à Lyon, lieu de mémoire qui a abrité en 1943 la gestapo dirigée par Klaus Barbie.

Couvrant près de soixante-dix années, l’exposition s’ouvre sous l’Occupation avec une résistance illustrée par des images symboliques, entre Prométhée et saint Georges, entre héros et martyrs, de Guy Môquet à Pierre Brossolette, du colonel Fabien au général Leclerc. Les illustrés ont alors pour nom des évocations animales. Goupil, Robin l’écureuil, La bête est morte, le Coq hardi . Si le cinéma ne s’empare du sujet qu’à partir des années 1960 ( les Culottes rouges ; Paris brûle-t-il ? ; le Vieil Homme et l’enfant ), la bande dessinée ne se fait donc pas attendre. Elle s’inscrit dans l’immédiateté. Le bruit des bulles résonne en zone libre.

À la Libération, elles célèbrent une France debout et unie contre l’oppression. « Fifi gars du maquis » (24 pages entièrement en couleurs) fait la une de Vaillant (1945), revue éditée par l’Union de la jeunesse républicaine de France (UJRF).

De 1946 à 1948, l’illustré Tarzan rend hommage aux victimes de la guerre ; en 1948, le magazine Tintin consacre une série au général Leclerc. Dans le foisonnement des publications, l’imaginaire collectif se construit, cale son stéréotype. La loi de juillet 1949 sur les publications destinées aux mômes restreint toute forme de violence. Surtout, elle encadre, moralise la jeunesse avant même le retour du Général instituant la figure du combattant héroïque. Jusque dans les années 1970, la BD relève souvent de la commande et restera encore après utilisée comme un outil de transmission.

C’est tout l’intérêt de cette exposition, extrêmement dense, de montrer la fabrication du mythe (il est plus facile d’illustrer la résistance que la collaboration), quelle que soit la thématique abordée, celle du maquis, de la violence, de l’aide aux personnes pourchassées et persécutées ou bien des déportés. Avec une iconographie riche, courant jusqu’en 2010, où se succèdent et se croisent, outre ce florilège de bandes dessinées des années 1940 et 1950, les Armées de l’ombre (1975), de Pierre Dupuis, Maus (1987), de Spiegelman, Le vieil homme qui n’écrivait plus (1996), de Sokal, le Sursis (1997), de Jean-Pierre Gibrat, Armée secrète (1997), de Philippe Chapelle, Il était une fois en France (2007), de Nury et Vallée, la Résistance du sanglier (2008), de Stéphane Levallois ou encore Résistances (2010), de Jean-Christophe Derrien et Claude Plumail.

Dans cette invitation au voyage dans le temps, tour à tour épique, réaliste, engagé ou caricatural, également éditorial, c’est là de quoi mesurer l’évolution de la bande dessinée, des pages saturées, surchargées de mots aux pages épurées, gagnées par des atmosphères surnaturelles, accentuant ou suggérant l’horreur du conflit. Comme s’il n’y avait plus rien à ajouter.

Culture
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