Un simple carré de «simples»

Chronique « jardins » du week-end. Fruits et légumes peuvent-ils aussi être un objet historique et politique ? Retour, pour ce troisième épisode de fin de semaine, sur l’histoire des herbes aromatiques.

Claude-Marie Vadrot  • 18 juin 2011
Partager :
Un simple carré de «simples»

Quand les grandes surfaces vendent le basilic frais, le thym, la ciboulette ou l’aneth sous plastique autour de 100 euros le kilo, il est à la fois urgent, délicieux et facile de se faire un petit carrés d’herbes aromatiques sur son balcon [^2] ou dans son jardin. Une très ancienne tradition des Romains et des couvents qui installaient les herbes simples près de l’infirmerie ou de la cuisine.Le premier jardin parisien (officiel) de « simples » ou de plantes à la fois médicinales et aromatiques fut installé en 1626 sur les terrains qu’occupe aujourd’hui le Muséum national d’histoire naturelle, plus connu à Paris sous le nom de Jardin des plantes . Hommage populaire ayant résisté au temps, au médecin Guy de la Brosse qui inventa ce « Jardin royal des plantes médicinales » en se mettant à dos les caciques de la médecine officielle de Louis XIII.

En ce temps là, toutes les plantes considérées comme aromatiques étaient aussi utilisées comme remèdes. Leurs propriétés oubliées au XXe siècle ont été peu à peu et récemment redécouvertes. Et ce malgré les condamnations de la médecine officielle qui a obtenu dans les années 1940, grâce au maréchal Pétain et à l’ordre des pharmaciens, la disparition des herboristes diplômés. En son temps, Guy de la Brosse fit d’autant plus scandale qu’il imagina, à partir de 1640, de faire de son jardin un lieu d’enseignement. Gratuit et en français alors que la faculté professait encore en un latin qui n’était pas de cuisine, même si le thym y occupait déjà une place de choix avec la sarriette. Aujourd’hui encore l’Ecole de botanique du Muséum est ouverte gratuitement tous les jours au public [^3].

Sans prétendre égaler les talents des maitres-jardiniers du Muséum, il est facile d’installer en votre jardin, si petit soit-il, un carré de simples. En commençant par les « larmes d’Hélène » ; la fille de Zeus, retrouvant la région de Sparte après de multiples aventures, versa des pleurs qui donnèrent naissance au thym alors réputé pour éloigner les serpents. Pline l’Ancien évoque la plante et ses légendes dans son Histoire Naturelle, mêlant botanique et légendes. Il existe plus de 2000 espèces de thym qu’il m’est arrivé de trouver en Sibérie et au bord du désert irakien.

Commencez par le thym commun, Thymus vulgaris , qui se contentera d’une terre pauvre en plein soleil. En Provence, où il vaut mieux l’appeler farigoule pour être compris, il pousse dans toutes les garrigues, tout comme le serpolet, Thymus serpyllum , qui s’adapte bien au jardin et au balcon. Les deux se marieront avec leur cousine la sarriette, Satureja hortensis , une annuelle qui se sème dans le même type de terre et qu’il est possible d’utiliser trois ou quatre mois après le semis. Elle fait partie des « herbe de Provence » qui comprennent, outre le thym, le romarin, la marjolaine et l’origan. Le romarin, Rosmarinus officinalis , voisine fort bien, si on lui donne un peu de place, avec la marjolaine, Origanum majorana , et son demi-frère l’origan : ils se conservent très bien dans de l’huile d’olive qu’ils parfument.

L’estragon, Artemisia dracunculus , arrivé d’Asie centrale (où j’en ai trouvé avec des feuilles rouges) au Moyen Âge, était vanté par de Guy de la Brosse pour guérir des morsures de serpents, d’araignées et de scorpions et toutes les formes d’indigestion. Son nom latin fait allusion au dragon car les premiers naturalistes ont été impressionnés par sa racine souterraine qui, chaque printemps, lui permet de refaire les tiges que l’on cueille.

Toujours au soleil, la sauge officinale, Salvia officinalis , pousse facilement, s’utilise en cuisine et fait d’excellentes infusions. C’est à cet effet qu’elle était cueillie ou cultivée en Asie avant de s’acclimater aux pays méditerranéens puis aux climats plus frais. Outre ses propriétés culinaires, la sauge, dont le nom vient du latin salvare – guérir – est réputée soigner une quinzaine de maladie. Il est vrai que les tiges, en infusion, libèrent de la salicine, composé de base de l’aspirine. Cela n’explique pas que la sauge ait même été soupçonnée au Moyen Âge de posséder des vertus aphrodisiaques. Ses propriétés expliquent sans doute le proverbe provençal aujourd’hui un peu oublié : « Qui tient de la sauge en son jardin n’a pas besoin de médecin ». Au moins, la rime est riche.

D’autres plantes vivaces ont leur place dans ce carré magique qui sent si bon tout l’été et attire les papillons : la menthe, la pimprenelle, Sanguisorba minor , la ciboule, Allium fistulosum , la ciboulette, Allium schoenoprasum , et le céleri branche. A côté de ces simples dont certaines ne disparaissent l’hiver que pour mieux renaître au printemps, il faut garder de la place pour semer en mars ou avril du fenouil, Foeniculum vulgare , de l’aneth, Anethum graveolens , du basilic, O cimum basilicum , et la coriandre, Coriandrum sativum .

Un nom latin de plus mais ils permettent à l’acheteur de ne pas se laisser refiler n’importe quoi dans une jardinerie. La coriandre fut suffisamment vénérée pour avoir son jour dans le calendrier révolutionnaire de Fabre d’Eglantine – le 30 juin – ; elle aime le soleil, elle pousse très vite et j’ai pu constater en l’essayant dans mon jardin pourtant frais des bords de Loire qu’elle se ressème toute seule, année après année. Elle a donc naturellement sa place dans ce carré de simples qui fut probablement, il y des millénaires, le premier jardin inventé par homo sapiens .

[^2]: Voir le « Geste utile » de Politis du 3 mars 2011

[^3]: En face des serres. Mais beaucoup de Muséum d’histoire naturelle de province offrent les mêmes jardins

Écologie
Temps de lecture : 5 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don