Les importuns…

Denis Sieffert  et  Christophe Kantcheff  et  Jean-Claude Renard  • 28 juillet 2011 abonné·es

Illustration - Les importuns…

Mais ces premières journées et ces nuits harassantes étaient parfois coupées d’épisodes cocasses. Celui-ci, par exemple, que l’on ne comprendra pas si l’on ne précise d’abord que la jeune assistante de François Delapierre, le bras droit de Jean-Luc Mélenchon, était une militante ; elle n’avait fait ni l’ENA ni Sciences-Po. Et, eu égard à son âge, elle ne connaissait guère le ­personnel politique de l’ère Mitterrand. On raconte que cela faisait la troisième fois en moins d’une semaine qu’elle informait son patron qu’un « vieux monsieur » voulait le rencontrer mais se refusait à décliner son identité.


  • Mais pourquoi ne lui demandes-tu pas sa carte ?, aurait maugréé Delapierre.


  • Je lui demande, mais il ne veut pas me la donner.
– Il a une raison pour cela ?


  • Il dit que tu ne voudras jamais le recevoir.


  • Mais peux-tu au moins me le décrire…


  • Il est très âgé. Son visage est très fripé.


  • Âgé et ridé, ça n’est pas très original, se serait exaspéré Delapierre, ce monsieur n’a pas un signe distinctif qui me permettrait de l’identifier ?


  • Ah si, il a une drôle de façon de me regarder…


  • DSK ?


  • Non, non je l’aurais reconnu, non, celui-là me regarde toujours au-dessus, comme si je faisais vingt centimètres de plus…


  • Putain !, aurait laissé échapper Delapierre, homme distingué pourtant, et qui n’était pas coutumier de ce genre d’interjections, Jack Lang !

    On rapporte que Delapierre se laissa choir dans un fauteuil.


On ignore quelle sinécure l’éternel ministre de la Culture venait réclamer. Mais on lui fit savoir que sa mission « sarkozyenne » sur la piraterie en océan Indien pouvait bien se prolonger sans dommage pour le nouveau gouvernement…



Le même après-midi de la mi-juillet, Delapierre entra dans le bureau du Premier ministre, celui-ci ne lisait ni Jaurès ni Michelet, comme souvent, mais l’Invention du possible, œuvre d’un déjà lointain prédécesseur de Mélenchon, Lionel Jospin.


  • Écoute ça, dit-il à son collaborateur et ami (Mélenchon adorait infliger de longues lectures à ses proches). « On peut se demander si nous ne sommes pas parvenus – provisoirement – (j’abrège) à une situation où les modes d’explication économiques et politiques se plient passivement à “l’état des choses”. Le chômage est partout massif ? Ce n’est plus une injustice ou un dysfonctionnement mais un prix à payer et un mal nécessaire. Le tiers monde s’enfonce dans la misère de masse ? C’est une fatalité géographique. » Tu vois, reprit Mélenchon, qui croirait que le type qui a écrit ça allait, quelques années plus tard, dire aux Français, qu’il ne pouvait rien à la fermeture d’une usine Renault en Belgique ? Ou qu’il était obligé de parapher de traité d’Amsterdam ? Il ne suffit pas de faire des professions de foi volontaristes en politique, il faut être à la hauteur du discours. C’est aujourd’hui le temps des caractères… Il ne faut pas seulement de la volonté, il faut du courage ; ne pas avoir peur de les avoir tous sur le dos.
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