Cygne des temps

Déclinaison en pâte à modeler du conte, très politique, d’Andersen.

Ingrid Merckx  • 4 novembre 2011 abonnés

Le conte d’Andersen est féroce : le vilain petit canard, en réalité un cygne dont l’œuf a été abandonné, est rejeté parce que différent. En l’adaptant en pâte à modeler, le réalisateur russe Garri Bardine exacerbe la cruauté du conte. Son oisillon échoue chez une poule dans une basse-cour totalitaire. Tous les matins, la volaille servile entonne l’hymne qui dit sa chance de faire du gras bien à l’abri.

Le petit canard tente de subsister sur place, seul, perdu et affamé, détresse qu’il exprime dans un chant aigrelet sur l’air du Lac des cygnes de Tchaïkovski. Le contraste entre sa plainte crépusculaire et la chorale matinale est à la fois désopilant et déchirant. Et ce d’autant plus que, réveillé à coups de pattes, il se lève tel un automate et ânonne la marche collective en pleurant.

Ses sorties forcées se soldent par des découvertes aussi enivrantes (un vol de cygnes !) que choquantes : il assiste horrifié à la mort brutale d’une petite oie sauvage qui tentait son premier envol. Le Vilain Petit Canard n’est pas un mélo tire-larmes mais une parabole d’une grande violence sur le rejet de l’autre et la brutalité du monde. Outre la métaphore initiale sur « chacun porte en lui un cygne magnifique », c’est immédiatement à des drames politiques que ce film fait écho, avec bien sûr, en tête, le vécu des sans-papiers.

Les marionnettes filmées n’atténuent en rien la charge dramatique : la mise en scène cocasse n’est qu’un leurre qui décuple l’évocation de la barbarie sous-jacente.

Cinéma
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