L’état de l’hôpital empire

Alors que les médecins hospitaliers ont accumulé des heures de congés non pris, un ouvrage collectif dresse un bilan des conséquences néfastes de la mise sur le marché du service public.

Ingrid Merckx  • 1 décembre 2011 abonné·es

Un nouveau scandale. Quarante mille médecins hospitaliers ont accumulé deux millions d’heures de RTT, soit environ six mois chacun. Des congés qu’ils ne pourront jamais solder puisque leurs comptes épargne temps (CET), mis en place en janvier 2002 lors du passage aux 35 heures, expirent le 3 janvier prochain.

C’est la raison pour laquelle, le 23 novembre, la Coordination médicale hospitalière (CMH), l’un des plus importants syndicats de praticiens, a menacé d’appeler ses membres à prendre leurs jours de retard à partir de janvier. L’opération entraînerait brutalement une grave pénurie de personnels, mais leur payer ces journées coûterait entre 600 et 700 millions d’euros, dépense qui viendrait s’ajouter aux centaines de millions d’euros pour les autres personnels soignants. Ce que les hôpitaux ne peuvent se permettre, sauf intervention du ministère.

Pour l’heure, celui-ci s’en lave les mains : à chaque hôpital de trouver une solution financière, a-t-il répondu au Parisien. « Ce n’est pas possible, sauf à mettre en péril la qualité des soins », a riposté la Fédération hospitalière de France le 25 novembre. Le 9 décembre, doit être présenté un décret plafonnant les CET à 60 heures, contre 200 aujourd’hui. Selon le docteur François Aubart, président de la CMH, le gouvernement a trop tardé à s’attaquer à un dossier dont il connaît l’échéance depuis dix ans.

Deux autres solutions existent : remplacer les médecins qui partiraient en congés, mais la pénurie est telle qu’il y a déjà des postes non pourvus dans les hôpitaux ; ou leur permettre de convertir les jours non pris en compte épargne retraite. Bloquée, cette situation ne fait qu’accroître le malaise dans un secteur déjà mal en point (voir Politis n° 1173).

« Qui sait qu’il n’existe plus, juridiquement, d’hôpitaux publics en France, que les décisions administratives y sont motivées par la rentabilité, la mise en concurrence et la conquête de parts de marché, que les médecins, et bientôt les infirmières, peuvent être rémunérés à la performance et qu’ils sont désormais sous influence administrative et économique ? », interrogent Bertrand Mas, Frédéric Pierru, Nicole Smolski et Richard Torrielli dans l’Hôpital en réanimation (1).

Un ouvrage qui s’inscrit dans la ligne d’autres alertes – Hippocrate malade de ses réformes (Frédéric Pierru, 2007), l’Hôpital victime de la rentabilité (André Grimaldi, 2009) et, surtout, le Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire –, qui fera date pour ce qu’il compile de critiques des réformes néolibérales en cours et de décryptage du désarroi hospitalier.

Résultat d’un séminaire de réflexion organisé par le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs élargi (SNPHAR-E), ce recueil ne s’en tient pas à une série de constats sur la « perte de confiance » à l’égard des hospitaliers, mais en tire les conséquences sur leurs pratiques et se veut force de proposition. C’est aussi une revanche des professionnels sur les « experts » et « consultants » qui leur ont confisqué la réflexion et le pouvoir sur l’hôpital, « paradigmatique » de l’évolution des services publics.

Frédéric Pierru rappelle que, derrière le management, il y a le politique, que la « marchéisation » de l’hôpital va de pair avec sa « technocratisation », « deux faces de l’État sanitaire néolibéral » . « Son “patron”, le chef d’établissement, est sommé de cesser d’être le porte-parole des intérêts de sa structure, l’allié des élus locaux et des praticiens, pour devenir le bras armé de son supérieur direct, le directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS), dont il doit faire passer, en interne, les injonctions rationnalisatrices. »

Les conséquences de cette industrialisation du soin sont examinées pour une fois dans le détail. Notamment les effets pervers de la rémunération à la performance, le conflit entre l’éthique médicale et la tarification à l’activité. Selon Serge Duperret, anesthésiste réanimateur à l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon, « la recherche du bien pour le malade et l’équité dans la répartition d’un bien limité ne sont pas deux valeurs qui s’affrontent ». A condition que la gestion se préoccupe d’éthique…

Société
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