À contre-courant / Les impasses de l’économie verte

Jérôme Gleizes  • 9 février 2012 abonné·es

Tous les dix ans, depuis 1972, l’ONU organise un Sommet de la Terre. Rio accueillera le prochain en juin, vingt ans après celui qui avait réveillé les consciences. Rio 1992 avait été un succès diplomatique et juridique avec deux conventions ratifiées (climat, biodiversité), auxquelles est venue s’ajouter une troisième convention (désertification). Le concept de développement soutenable, présenté dans le rapport préparatoire Brundtland en 1987, a été popularisé à partir de ce moment-là avec la création de la commission des Nations unies pour le Développement soutenable (DS) et des programmes d’action locale (Agenda 21). Mais, en vingt ans, la situation s’est dégradée. Nous vivons la sixième extinction massive des espèces. Les dérèglements climatiques s’amplifient. L’attente de ce sommet est grande mais, à ce jour, la première esquisse du rapport est inquiétante [^2].

La marchandisation de la nature, seul horizon de sortie des crises ! L’économie verte est le nouveau concept qui se substitue à celui de développement soutenable. Le dépérissement du concept est patent. Alors que celui-ci essayait de concilier justice sociale, soutenabilité du mode de production, préservation de l’environnement et de l’avenir des générations futures, l’économie verte se limite à concilier emploi et croissance. Elle entérine la dénaturation du DS, notamment quand les entreprises s’en emparent pour en faire un simple concept marketing. Alors que la croissance est de plus en plus faible, son incantation est de plus en plus forte. Les gaz à effet de serre, la biodiversité sont transformés en marchandises, mais sans permettre de résorber les crises. « Alors que la proposition d’un Nicholas Georgescu-Roegen ou d’un René Passet dans les années 1970 était de penser l’économie comme un sous-système des cycles naturels de la biosphère, le projet de l’“économie verte” est de faire de ces cycles des sous-éléments de la sphère économique et financière [[ Christophe Bonneuil et Geneviève Azam, EcoRev’, « Quelle(s) valeur(s) pour la biodiversité ? », n° 38, automne 2011. ]]. »

Une autre négociation est possible à Rio. Il est urgent de s’engager dans une transition pour un changement de civilisation, permettant de respecter les équilibres écologiques et de stabiliser le climat, mais aussi d’éradiquer la pauvreté et de réduire les inégalités. Ce sommet de Rio doit être le point de départ d’un nouveau cycle de négociations multilatérales et internationales, comme le précédent avait lancé le protocole de Kyoto. Il serait plus opportun d’y imposer le concept indigène du Sumak Kawsay [^3], comme l’ont fait les Équatoriens dans leur Constitution. Les êtres humains ne sont pas extérieurs aux écosystèmes dans lesquels ils vivent. Les services dits écosystémiques sont plus que valorisables. Ils sont supports de la vie. Au lieu de marchandiser la biodiversité mais aussi pour aller au-delà de la valeur travail, il faut revoir les catégories de l’économie et donc les priorités du politique. L’économie, étymologiquement la gestion (nómos) de la maison (oîkos), et l’écologie, la science (logos) de la maison, sont les deux faces d’une même pièce, mais l’économie ne doit jamais subordonner l’écologie. 

[^2]: Le texte est consultable sur www.uncsd2012.org/rio20

[^3]: Voir la ­Biosphère, de Wladimir ­Vernadvsky (1926), montrant l’interaction entre les ­différentes sphères.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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