Ces couples qui font bon ménage

Politis a rencontré quatre couples « modernes » qui revendiquent un partage des tâches sinon égalitaire, du moins équitable.

Pauline Graulle  • 9 février 2012 abonné·es

Ils sont jeunes, ils s’aiment et… ils partagent. De leur point de vue, les vieilles habitudes – maman fait la popote pendant que papa bricole – appartiennent à un lointain passé. O tempora o mores, les quatre couples (hétérosexuels et non mariés) rencontrés par Politis ont entre 20 et 35 ans, et portent haut les couleurs de l’égalitarisme à la maison. Pour eux, pas question que l’un(e) fasse plus que l’autre… Et que le sexe définisse à l’avance qui fait quoi.

Ainsi Isa et Franck, trois ans de vie commune en banlieue parisienne. Est-ce parce qu’il a été élevé par un père patron de bar qui lustre lui-même son zinc ? Franck, 28 ans, a décidé de ne « pas mettre sa virilité dans le ménage, ni dans le salaire non plus » . La répartition du travail domestique dans le couple s’est faite « naturellement, mais pas selon les critères classiques » , résume Isa, 30 ans. En réalité, de manière inversement proportionnelle au temps de travail « extérieur » . Elle gagne près de deux fois plus dans le secteur de l’édition que son fiancé, qui touche un Smic de magasinier. Elle travaille cinquante heures par semaine ; il finit sa journée à 16 heures. Pour faire court, Isa rapporte le gros de l’argent au foyer, et Franck, qui a « plus de temps » , gère le gros de la vie à la maison : courses, repas, ménage… Seule la lessive reste chasse gardée de la demoiselle « parce que ça peut attendre le week-end » . Si Franck semble se satisfaire de la situation, Isa, elle, se sent « coupable de ne pas faire plus » , ayant eu « un modèle de mère qui faisait beaucoup pour la maison » .

Mathilde (22 ans) et Paul (24 ans), tous deux futurs avocats à Paris, vivent dans une « parité économique » à laquelle doit répondre selon eux la parité du travail domestique. Paul repasse, Mathilde passe l’aspirateur. Qui fait la vaisselle ? « Ça dépend de qui cuisine. » Les courses ? Ensemble… sur Internet ! Le bricolage ? Mathilde a réparé les joints de la cuisine, mais c’est à Paul qu’appartient la boîte à outils. Là encore, dans le meilleur des mondes qu’est l’amour, rien n’a été négocié. La « logique » est avancée comme seul et meilleur guide. Surtout que Paul a pu aiguiser ses compétences ménagères lors d’une vie antérieure en colocation avec un copain pas vraiment fée du logis… « J’ai bien été obligé d’apprendre sur le tas tout ce que je n’avais pas appris chez mes parents. » La vie de célibataire a du bon !

Selon le magazine « plus féminin du ciboulot que du capiton » , c’est « le lave-vaisselle, pardi ! On n’est plus à l’âge de pierre… Blagues à part, dans une société de services, on n’investit plus le domestique par choix. Ceux qui ont les moyens paient quelqu’un pour le faire. Les autres partagent, enfin, surtout les jeunes, parce que le niveau d’éducation des filles a grimpé et qu’ils essaient de négocier autre chose… Sauf que, pour jouer à armes égales, il faut avoir le même salaire. La vaisselle, c’est une question politique ! Impossible de distinguer les inégalités domestiques des inégalités salariales : c’est l’économie qui conditionne (encore) la vie des femmes. On a publié en décembre un dossier sur le thème : « 2012 : Qui veut le retour des femmes au foyer ? » Car 2,5 millions de femmes renoncent au travail. Dans le meilleur des cas, de façon volontaire et temporaire. De plus en plus par dépit. Faute d’une solution de garde pour [leurs] enfants, faute d’un emploi, faute d’argent… » Prochain dossier de Causette : les inégalités salariales. Tiens, tiens…
Le fleuve de la vie de couple paraît un peu moins tranquille pour Marie et Ben, 33 ans, dont dix passés dans leur petit appartement du canal Saint-Martin (Paris Xe). Dans leurs familles, « c’est la mère qui faisait tout » . Sans doute pour cela que Ben, décorateur, estime en partie subir une « inversion des rôles » : « Chez nous, c’est un peu “Madame est servie” » , grince celui qui s’enorgueillit pourtant d’avoir appris à coudre avec sa grand-mère. Regard foudroyant de Marie, psychologue, qui rappelle qu’elle s’occupe du linge et de vider le lave-vaisselle. Et que depuis la naissance d’Eva, 3 ans, c’est elle qui « organise, anticipe, s’occupe des rendez-vous médicaux, et arrête de travailler » quand la petite est malade. « Ben en faisait sans doute un peu plus que moi auparavant, mais l’arrivée de notre fille a vraiment changé la donne » , insiste Marie.
Un heureux événement et patatras… L’équilibre précaire qui régissait jusque-là la vie domestique s’effondre.

Thomas et Hélène, 34 ans, tous deux consultants à Toulouse, ont également engagé une réorganisation de leurs habitudes à la naissance de Manon. De tous, leur couple est sans doute celui qui a réfléchi de la manière la plus approfondie à la manière de lutter contre les « attendus » du genre. Aujourd’hui, c’est Thomas qui s’apprête à prendre un congé parental (non rémunéré) d’un mois pour s’occuper de Manon – une initiative soufflée par Hélène, qui voit dans ce mois de cocooning l’occasion rêvée pour que son conjoint « trouve sa place » dans la famille. « Et puis je m’étais déjà arrêtée plusieurs mois pour le congé maternité, précise Hélène. Je ne voulais pas qu’un autre congé accentue les différences de salaire. »

Une jeune mère aux anges, même si vigilante… Et le futur père au foyer ? « Hypercontent d’être un père moderne » , affirme-t-il tout en avouant avoir « un peu peur » d’être débordé par la tâche. Quant aux grands-parents de Manon, ils semblent sceptiques. « Je viens d’un monde où mon père était dans le déni des choses matérielles » , dit Thomas. « Sa mère trouve bizarre qu’il arrête de travailler, c’est pas dans sa culture » , ajoute Hélène. Restait aussi à faire passer la pilule au patron du jeune homme : un boss qui s’inquiétait de la réaction des clients. « C’est difficile de faire évoluer les mentalités , pointe Thomas. S’occuper des enfants n’est pas très valorisé pour un homme. »

Même ardemment désirée, la polyvalence n’est pas si facile à mettre en œuvre. Farouchement combattue, la vieille équation « tel sexe = tel comportement » affleure encore. Et si le « qui est qui » ne définit pas forcément « qui fait quoi » à la maison, les questionnements autour de la différence des sexes perdurent.

Pour Franck, par exemple, « la drague » est un trait principalement masculin. Pour Paul, ce serait plutôt tout ce qui a rapport à l’informatique : « Être “geek”, c’est un peu une nouvelle forme de virilité. L’informatique, c’est du bricolage… mais plus intellectuel que de planter un clou ! » Côté filles, Mathilde, qui ne déteste pas la « galanterie » , considère que le shopping demeure une activité très « girly » . Isa juge que l’entretien de la voiture reste éminemment masculin. Marie pointe qu’elle est « plutôt dans le soin avec [sa fille] Eva, Ben plutôt dans le jeu » .

Au fond, conclut Hélène, « ce que je n’aime pas, ce sont les choses figées, les rôles qu’on se donne sans réfléchir et dont ensuite on ne peut plus sortir ». Ou comment le jeu de rôles finira par vaincre la guerre des sexes !

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Qui fait la vaisselle ?
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