Eva Joly : « Prête et en confiance »

Rencontre avec Eva Joly avant son premier meeting, samedi 11 février à Roubaix. Enjeu important, où il lui faudra imposer l’écologie dans la campagne présidentielle, thème passé sous silence, et corriger son image.

Patrick Piro  • 9 février 2012 abonné·es

Illustration - Eva Joly : « Prête et en confiance »

La candidate d’Europe Écologie-Les Verts ­traverse une passe difficile. Créditée de 3 % à peine des intentions de vote à la présidentielle, elle est handicapée dans l’opinion par une image peu amène, esquissée par une récente étude [^2]. Eva Joly affirme cependant garder confiance, et tente de dégager les enjeux de l’écologie du défaut de séduction qu’on lui prête. « Même si vous ne m’aimez pas, votez pour moi », demande-t-elle.

Les sondages ne sont pas bons pour vous. Vous incitent-ils à changer votre manière de mener campagne ?

Eva Joly : Je m’en moque complètement ! Je ne vais pas m’inventer un genre, je fais ce que j’ai à faire : je suis l’unique candidate à porter le discours de l’écologie, seule pensée révolutionnaire du XXIe siècle, quand les autres candidats parlent encore du XXe siècle ; mon rôle est de lancer des débats et de porter un projet alternatif. Je ne vois pas ce que je pourrais faire d’autre ou de plus. François Bayrou, par exemple, ne développe pas d’idées, il se cantonne à des postures. Ça paye un peu, puisqu’il est proche de 15 % dans les sondages, mais ce n’est pas mon style, désolée.
Quant aux sondages, ils me donnaient largement battue lors de la primaire d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) !

On vous reproche de n’être pas la meilleure candidate de l’écologie…

J’entends dire que Nicolas Hulot serait plus représentatif que moi [^3]. Veut-on me pousser à laisser ma place ? On ne change pas de candidat comme de cheval, sur un coup de tête ! On ne fait pas de politique avec des « ça aurait été mieux ». Regardez le Parti socialiste : son candidat « aurait dû » être DSK !

Depuis quelques semaines, vous êtes devenue une cible privilégiée des commentateurs politiques, qui ne vous ménagent pas. Les risques du métier ?

C’est le petit monde politico-médiatique qui m’a prise en grippe, pas l’opinion publique. Cela ne me surprend pas, j’attaque les multinationales qui ne payent pas d’impôts, l’industrie de l’armement, etc., avec lesquelles ce sérail a des accointances. Je supporte ces critiques dans la mesure où elles ne correspondent pas à la réalité : l’image négative que l’on me prête a été largement construite par les médias, et ce n’est pas fortuit. Ça a commencé par « l’erreur de casting Joly » affichée par le Figaro, et depuis on se défoule sur ma personne – Nicolas Demorand, Patrick Besson… [^4]. Je soupçonne aussi cette forme de rejet, pas très glorieuse, qui affecte la « vieille femme » dans la société française… Mais je sais ce que je vaux, c’est ce qui motive ma persévérance.
Cependant, je suis particulièrement choquée par certains procédés journalistiques. Je rencontrais la semaine dernière des personnes au chômage dans le quartier du Mirail, à Toulouse, et je faisais part de ma conviction que l’écologie politique est porteuse de solutions pour l’emploi. J’ai conclu avec le message d’espoir livré par Edgar Morin dans la Voie, mon livre de chevet actuel : c’est le seul passage retenu par France Inter, en guise de preuve que je suis « complètement décalée » avec la réalité !

La réputation d’Eva Joly est souvent résumée à sa ténacité exemplaire dans l’énorme scandale financier de l’affaire Elf. Mais le parcours de la Franco-Norvégienne, novice en politique, est riche d’expériences insoupçonnées, comme le révèle le livre qu’elle vient de publier (1) : secrétaire, conseillère juridique en hôpital psychiatrique, magistrate, spécialiste du sauvetage des entreprises, cadre de l’Agence norvégienne pour le développement international, conseillère anticorruption du gouvernement islandais. Du côtoiement avec les puissances de l’argent, elle retire une motivation farouche dans la dénonciation du mépris social. « Je répondrai à vos questions quand votre concordance des temps sera parfaite » , lui assène Jean-Maxime Lévêque, ancien PDG du Crédit lyonnais, qu’elle met en examen. Ses élans pour la France, où elle a passé les deux tiers de sa vie et qu’elle décrit comme sa patrie de cœur, dévoilent une Eva Joly touchante et inattendue. Après lecture, il sera plus difficile de se la représenter comme une grande bourgeoise viking tombée dans l’écologie comme un cheveu dans la soupe. _P.P. (1) Sans tricher, Les Arènes.
La candidate Eva Joly n’a-t-elle pas manqué de connivence avec le public jusque-là ?

Peut-être. Je m’efforce d’apparaître plus chaleureuse. Je suis timide. Le plus difficile, en public, c’est de parler de moi, d’expliquer en quoi je suis légitime pour solliciter les suffrages des Français. Je ne me sens jamais spontanément conquérante, j’estime qu’il me faut toujours apprendre et écouter avant de m’exprimer valablement. Par expérience professionnelle, je suis une femme de dossiers, je mets du temps avant de me convaincre que je suis compétente pour intervenir sur un sujet. Au début, tout le monde voulait me fournir des « éléments de langage ». Ça ne marche pas avec moi : je veux comprendre les sujets à fond avant de me lancer. Aujourd’hui, je pense avoir fait le tour des dossiers et du programme écologiste, je me sens prête et en confiance.
L’écologie est presque absente des discours et propositions de la campagne. Cependant, on a le sentiment que vous vous engouffrez peu dans l’espace que cela vous offre. Je ne suis pas une spécialiste des envolées lyriques, j’ai l’indignation plus réfléchie. J’aime mettre les arguments en perspective. Et je perçois que mon public m’en sait gré, souvent, plus que si j’avais usé de « petites phrases ».

Marine Le Pen se plaint d’être entravée dans la quête de ses 500 « parrainages ». Que vous inspire la perspective que la candidate du Front national soit interdite de présidentielle ?

Je pense… qu’elle va obtenir ses parrainages, bien sûr ! La famille Le Pen nous fait le coup à chaque élection. Quoi qu’il en soit, il faut s’interroger sur les raisons qui font que ce parti éprouve autant de difficultés à convaincre des élus à lui apporter leur soutien. Quand j’entends que le Conseil constitutionnel est saisi pour autoriser l’anonymat des signataires, je n’en reviens pas ! Va-t-on reculer sur la transparence et accepter cette régression ?

Existe-t-il une circonstance qui pourrait vous pousser à renoncer à votre candidature ?

Il ne faut jamais dire jamais, bien sûr. Mais abandonner serait faillir. C’est la seule chose que je n’ai pas le droit de faire. J’ai l’outrecuidance de penser que je peux apporter quelque chose à la France. Ma personne ne compte pas, c’est la voix de l’écologie politique qui doit être portée dans cette campagne. Je suis convaincue que c’est la seule idée neuve de l’époque, et toute alternative a besoin d’idées neuves pour réussir. C’est parce qu’elle en manquait que la gauche a déçu, et que l’alternative a échoué quand elle est arrivée au pouvoir en 1981 et en 1997.

Vous allez prononcer votre premier grand discours de campagne à Roubaix. Sur quel point comptez-vous insister ?

La dénonciation du mépris social. Je passe mon temps à rencontrer des gens laminés par les politiques menées dans notre pays, et parvenus au bout du rouleau. Par mon histoire personnelle, je peux faire état de ce que ressent une caissière exploitée dans un supermarché, ce n’est pas le cas des autres candidats. Je n’ai pas vécu dans une bulle, comme beaucoup d’autres politiques.

Pour la teneur de mon discours, je vous donne rendez-vous le 11 février. Cependant, toute mon argumentation est guidée par l’idée que l’écologie apporte des réponses très concrètes à la crise, dont la résolution passe par une transformation considérable de la société – sobriété énergétique, lutte contre les pollutions, préservation des ressources, conversion écologique de l’économie…Cette mutation devra s’opérer dans la décennie qui vient, mais de manière douce et concertée. Tout cela est décrit dans le programme d’EELV.

Envisagez-vous une participation à un éventuel gouvernement de gauche ?

Je trouve très amusant et flatteur que l’on me prête des perspectives de carrière, à mon âge ! Mais si je peux être utile, pourquoi pas ?

[^2]: Ipsos, pour le Monde (26 janvier).

[^3]: « On n’est pas couché », France 2 (4 février).

[^4]: Respectivement : le Figaro (24 novembre 2011) ; « Par amateurisme insondable, ayant déjà implosé, Eva Joly sème la zizanie avec légèreté et dogmatisme » (Libération, 24 novembre 2011) ; chronique brocardant son accent dans le Point (1er décembre 2011).

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