Taxe Sarkozy : un rideau de fumée

Pascal Canfin  • 23 février 2012 abonné·es

Avec Nicolas Sarkozy, tout devient possible, même une taxe sur les transactions financières à trois mois de la fin de son mandat. Si la ficelle est grosse, que penser de cette taxe ? De loin, l’ambition semble élevée. Mais quand on y regarde de près, la taxe Sarkozy est à une taxe sur les transactions financières ce que le Big Mac est à la gastronomie.

Tout d’abord, une large partie des transactions financières, notamment sur les produits complexes et spéculatifs, sont exemptées alors que ce sont justement celles-là qu’il aurait fallu taxer en priorité. On objectera que cela n’était pas possible au niveau purement national ? Faux. Pour les produits dérivés, qui servent largement à spéculer sur les monnaies ou sur les matières premières, par exemple, il aurait été possible de lier la reconnaissance juridique du contrat à la preuve que la taxe a bien été payée. Autrement dit, si une banque française avait voulu échapper à la taxe en passant par Londres ou Singapour, le contrat qu’elle aurait passé n’aurait eu aucune valeur juridique. Comme lorsqu’un particulier achète une maison, il ne peut en être propriétaire que lorsqu’il a payé les droits de mutation.

Deuxièmement, la taxe Sarkozy entend frapper les achats de CDS à nu, des produits qui permettent de spéculer sur les dettes des États. Mais cette annonce a une portée plus que limitée puisque les CDS à nu seront interdits à partir de novembre 2012 en Europe grâce à la loi européenne dont j’ai été le négociateur pour le Parlement européen. Sarkozy va donc taxer ces produits pendant quelques mois.

Enfin, la taxe Sarkozy veut taxer le trading de haute fréquence, ces opérations sans intervention humaine qui se font toutes les millisecondes (soit environ 3 000 opérations possibles le temps de lire cette phrase !). Mais le champ de la loi est limité aux opérateurs de haute fréquence localisés en France alors que les acteurs dominants sont tous anglo-saxons. La collecte financière sera donc très faible, et le combat, sur ce point, ne peut être qu’européen pour être efficace. Je me bats d’ailleurs dans la négociation en cours en Europe sur le trading de haute fréquence pour introduire une mesure simple : plafonner la vitesse à laquelle un ordre peut être passé pour stopper cette course folle à la vitesse.

Au final, la taxe Sarkozy n’est rien d’autre qu’un retour de l’impôt de bourse supprimé en 2007 par… Nicolas Sarkozy lui-même. Et cette initiative pourrait même se révéler contre-productive car elle offre une alternative très peu ambitieuse à une vraie taxe européenne sur les transactions financières en cours de négociation à Bruxelles. Les libéraux allemands ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : alors qu’ils sont farouchement opposés à une taxe européenne capable de lever entre 50 et 100 milliards d’euros, ils sont tout à fait favorables à la minitaxe de Sarkozy. Après les bonus, les paradis fiscaux, la régulation des banques, la taxe sur les transactions financières n’est malheureusement qu’un exemple de plus du double discours permanent de Nicolas Sarkozy en matière de régulation de la finance.

Politique
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